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je te prie d’un plaisir : je suis dans un embarras terrible de tous côtés : on m’annonce, à moi, mon mariage avec une princesse russe ; on le publie partout sur les journaux de ce pays et étrangers ; moi, je n’ai jamais dit un mot qui pût faire allusion à ce projet. Lorsque l’Impératrice-mère me parla de cela, je répondis affirmativement que la chose était impossible ; maintenant, on me dit que l’impératrice Alexandra, écrivant à une princesse russe à Paris, lui dit voir son projet se réaliser avec plaisir. Je n’y comprends plus rien. Tu sais ce que je t’ai dit à l’égard de la dame qui me regarde : on répand ici partout le bruit qu’elle s’est mariée et qu’elle a épousé un major ; je ne sais plus comment la tenir, elle veut se tuer, ou se battre avec quelqu’un [1] . Je crois que tout ceci est fait par le même parti qui m’a toujours été hostile, j’en ai même la certitude, mais cela m’ennuie.

Ce qui est pire, c’est que Villamarina écrit ici avoir été interrogé par l’Empereur si je l’avais épousée, oui ou non, l’Empereur ayant désapprouvé la chose. Fais-moi la charité, rends-moi un service, fais-moi dire la vérité : si tu n’en as pas parlé à l’Empereur, parle-lui en. Et dis-lui comme je t’ai dit : Qu’une parole d’honneur me lie à cette femme, conçue en ces termes : que je n’épouserai pas d’autre femme qu’elle, et que je l’épouserai, lorsque je le pourrai, rien ne fixant l’époque, et qu’en tous cas, le mariage serait toujours secret comme le permet l’Eglise dans ces cas, et qu’elle ne serait jamais reine. Je ne tiens pas du tout à le faire, ni pour à présent, ni pour bien longtemps, mais je désirerais vivre tranquille sur ce point. Fais-moi la grâce de me dire ce que dira l’Empereur, et aide-moi un peu, si tu le peux.

Si puis on eût dit des calomnies sur son compte à l’Empereur, dis-lui que je réponds sur mon honneur de la pureté de sa vie, et nous n’avons eu qu’un défaut, c’est de nous aimer à la folie pendant douze années, et elle de ne jamais vouloir croire la méchanceté du genre humain. Elle est fille d’un chevalier de l’Empire qui a 80 ans, chevalier de l’Ordre de Lazare et de plusieurs ordres, couvert de blessures sur les champs de bataille de votre illustre ancêtre. Je lui ai juré de ne jamais

  1. Rosa Vercellone, née le 3 juin 1833, mariée morganatiquement, le 7 novembre 1869, au roi Victor-Emmanuel II, créée comtesse de Mirafiori e Fontanafredda (11 avril 1859) ; morte le 27 décembre 1885.