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Les littérateurs de profession vous comprendront moins que le vulgaire. Vous projetez trop d’âme dans vos écrits. A eux les Contes drolatiques, la plus fine fleur d’esprit qui fût oncques. Au vulgaire, l’Auberge Rouge, avec ses pensées du pauvre condamné pour sa mère, comme la mélodie à tous et le chromatique aux musiciens !

Mais adieu, je suis à un lendemain de fièvre ; j’ai de la lassitude, le soleil ne vient plus.

Ivan saute familièrement sur vos ronds genoux, comme si vous étiez une créature vulgaire ; Carraud condense sa pistonnerie ; venez donc ! J’aimerais bien mieux vous avoir ici qu’à Frapesle.


Le voyage de Balzac devient de plus en plus problématique. Il est toujours la proie d’un travail forcené : « Je me couche, écrit-il, à six heures du soir ou à sept heures, comme les poules ; on me réveille à une heure du matin, et je travaille jusqu’à huit heures ; à huit heures, je dors encore une heure et demie ; puis je prends quelque chose de peu substantiel, une tasse de café pur, et je m’attelle à mon fiacre jusqu’à quatre heures ; je reçois, je prends un bain ou je sors, et après dîner je me couche. Il faut mener cette vie-là pendant quelques mois pour ne pas me laisser déborder par mes obligations [1]. » Ensuite il ira se reposer à Angoulême ou à Frapesle, ou aux eaux d’Aix, mais seul, cette fois. Il remercie Mme Carraud qui l’a gâté : une théière, un tapis ! L’exemplaire de Louis Lambert parviendra sans doute à la Poudrerie le 17 mars. Balzac accepte les observations que son amie lui a faites sur Juana ; mais pour Napoléon, c’est différent : « Que Napoléon ait été élevé en France, cela ne détruit pas son esprit insulaire. »

Et il termine en soupirant : « Ce que vous ne saurez jamais, c’est combien je déplore de ne pas être à la Poudrerie, tranquille, près de vous. J’en ai tant envie que je ne jurerais pas de ne point arranger mes affaires pour y être en avril. » Mais Carraud ne l’entend pas ainsi et, le 30 mars, elle écrit à Balzac :


Quelque plaisir que j’attende de votre présence, cher Honoré, rien ne me consolerait d’avoir uni à vos intérêts.

Restez donc à Paris tant qu’ils l’exigeront, et ne pensez à votre voyage que comme à une bonne œuvre, que l’on peut remettre, mais qu’il sera toujours beau et bien de faire, quelque tard que ce soit. Vous m’aidez à me faire considérer la fortune

  1. Correspondance, I, 230. La date attribuée à cette lettre doit être rectifiée et située non en février, mais entre le 7 et le 17 mars 1833.