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dépasse de beaucoup l’habitant du continent. Votre exemple portait à faux, car Napoléon a eu ses premières idées et a fait son éducation sur le continent. Il n’employa que bien peu de Corses. Vous avez prononcé contre vous. D’ailleurs, l’Empereur est une exception qui ne peut servir de preuve à rien qu’au pouvoir immense d’une volonté toujours une. Ah ! s’il était enfant maintenant, quelle destinée pour la France de 1830 ! Car il serait le résultat de son époque, et nous n’avons plus besoin de batailles pour prouver notre supériorité ! Et sa volonté, appliquée au bien public, tel qu’il se conçoit aujourd’hui, vivifierait toute cette gangrène, qui nous rongera dix ans au moins encore. La Bataille, la Bataille, vous comptiez sur cet ouvrage pour consolider une renommée qui s’affermit chaque jour, mais qui pourtant n’est pas encore de la gloire. La Bataille est, je crois, un ouvrage de longue haleine. Et les Trois Cardinaux[1] !… J’ai une vague idée du plan de ce livre, y avez-vous donc renoncé ? Je vous le dis : je ne compte plus sur vous, hélas !

Auguste dit que vous projetez un voyage à Frapesle ; mais, Honoré, bien que l’accueil le plus cordial vous y attende, vous savez peu le décousu de la maison de mon père, et les routines obstinées de ses vieux domestiques. D’abord, quoique depuis ses quatre-vingt-deux ans il se soit fait juste milieu, il ne conçoit pas la liberté, mais bien l’égalité. Il abhorre les Bourbons. C’est pour lui ce qu’est le blanc pour le nègre. Mon père est de 1751 ; il est roturier, et l’insolence de la noblesse est toujours irritante dans son cœur. Il a adoré l’Empereur, parce que lui, mon père, est despote, mais grand et noble (dans l’âge viril) et que Napoléon avait établi la plus véritable égalité. Sous la Restauration, il a été d’une opposition forcenée ; il adore Louis-Philippe, parce que ses forces ne suffisent plus à l’opposition, et qu’il aime mieux croire que nous avons ce que nous voulions que d’en faire la matière d’un examen. Il ne concevra donc jamais qu’un homme de votre trempe se traîne à la remorque des Carlistes : il concevrait déjà difficilement que vous voulussiez descendre à les conduire. Mais s’il vous faut des fleurs fraîches, et en profusion, un petit coin de terre que le hasard a disposé en jardin anglais, de façon qu’il n’y a presque rien à faire pour le rendre

  1. Richelieu, Mazarin, et Dubois. Cet ouvrage, promis au libraire Mame dès 1830, ne fut jamais composé.