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est commencé ici. Ah ! il faut que je vous régale d’un espoir de vous entendre, qui a tout à coup germé dans Angoulême. Vous saurez que cette ville a enfanté une femme auteur, artiste, habillée souvent à la grecque, ne s’asseyant jamais dans les salons, et étant toujours le centre d’un groupe plus ou moins nombreux. Cette dame a prié ses intimes, ses affidés, à une lecture que vous devez lui faire, samedi 16 de ce mois. Mme Grand-Besançon, au bal du Cercle, samedi dernier, a été stupéfaite d’apprendre que vous étiez si prochainement attendu ; il y a bon nombre de gens qui prétendent vous connaître et font de vous les peintures les plus amusantes par leur manque de réalité. Je n’ai pas eu le courage de lire Mme de Saint-Surin, l’auteur angoumois qui se dit si avant dans votre familiarité, parce que je suis hors d’état de m’intéresser à la pure littérature, exempte de pensées. Pourtant, je la lirai, ne fût-ce que pendant un quart d’heure, car je suis curieuse de savoir si son esprit se plaque bien sur sa figure.

Adieu, cher, je suis pressée, dites-moi si vous arriverez et quand, il faut que je le sache d’avance. Je vais en Berry à la fin de mai. Portez-vous bien, d’âme surtout. Carraud dit qu’il vous reconnaît bien là ; que s’il était derrière vous, il y a longtemps que vous seriez installé ici, où vous auriez fait de la fameuse besogne. J’ai beau dire à Ivan que vous avez trop d’esprit pour penser à lui, il veut absolument que je vous embrasse pour lui.

J’oubliais : M. Dejean, chez M. Lacroix-Marginet, rue Manigne, Limoges.


Ah ! Si Balzac n’écoutait que ses désirs, il y a beau temps qu’il serait à la Poudrerie. Mais il faut terminer la réimpression des Chouans, achever le Médecin de campagne, travailler à l’Histoire des Treize, fournir encore cent pages à la Revue de Paris. Tout cela le mènera jusqu’au début de mars ; le 10, il sera chez les Carraud, il se consacrera enfin à cette fameuse Bataille dont il ne peut venir à bout et composera les deux derniers contes du second dizain des Drôlatiques : « Je vous assure, écrit-il le 1er mars 1833, que je vis dans une atmosphère de pensées, d’idées, de plans de travaux, de conceptions qui se croisent, brouillent, pétillent dans ma tête à me rendre fou [1]. » Et malgré tout, il engraisse ! Quant à Mme de Saint-Surin,

  1. Correspondance, I, 235-238.