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Mais apparaissez, enchanteur, et le bon Borget sera effacé, toujours momentanément.


Balzac est trop occupé pour répondre immédiatement. Cependant Mme Carraud s’inquiète ; une lettre de Laure lui a montré le malheureux Honoré aux prises avec les pires difficultés. Elle veut sur le champ le réconforter.


28 janvier 1833.

Je viens d’apprendre par Laure les nouveaux ennuis qui vous retiennent à Paris. Honoré, cher Honoré, ne vous saurai-je donc jamais en repos ? Faut-il donc que votre pensée, qui devrait rester dans les régions élevées, soit toujours infléchie, et que des intérêts matériels viennent, sinon l’absorber, du moins la neutraliser, nuire à l’enfantement de vos œuvres ! Elle me dit que vous perdez courage par instants. C’est impossible, Honoré, vous ne pouvez vous laisser abattre comme un homme vulgaire par ce qui, au fond, n’est qu’un accident dont les suites ne peuvent être graves. Je conçois que d’abord la contrariété ait été vive, insupportable ; par nature, par art, et par état, vous êtes trop impressible pour que le découragement n’ait pas été subit ; mais, à la réflexion, j’espère bien que vous avez repris la plume, quitte à la tremper un peu fort dans l’encrier. C’est précisément parce qu’il y a obstacle momentané à la publication des livres confiés à l’imprimeur imprudent, qu’il faut vite en disposer un à donner à un autre ouvrier. Je regrette toujours de ne pas être là, soit pour vous consoler, soit pour changer le cours de vos idées et attirer sur moi la bile qui vous tourmente, en cherchant à vous prouver que vous avez tort. Car, à moi, vous ne pourriez en vouloir bien longtemps ! Vous ne savez que trop, à ce que j’ai pu voir, que l’amitié n’est pas plante qui croisse sur tout sol, surtout celle que l’on a pour un esprit supérieur ; il faut du dévouement pour aimer qui l’on ne peut pas toujours suivre dans son vol ; l’admiration ne suffit pas à l’amitié.

Si Auguste est rue Cassini, dites-lui de m’écrire et de me dire l’état de votre tête, laquelle tête, je vous en demande pardon, n’est pas toujours bonne, toujours conséquente. Si cette tracasserie toute matérielle pouvait un peu vous maigrir ! Adieu, que ne pouvez-vous venir ici ! Vous vous y ennuieriez certainement, mais ce ne seraient pas les misères de l’intelligence qui vous y poursuivraient, à moins que vous ne les y eussiez importées. Je