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ethniques, mis à part, ne donne pas à la Belgique sa vraie signification. Le secret de notre force est leur interpénétration. Nous comptons pour quelque chose en Europe, parce que nous combinons en nous les qualités du génie flamand et celles du génie latin ; la profondeur, la solidité, la ténacité, la patience, l’énergie, parfois la rudesse du Nord, — la sensibilité, la verve, la grâce, la sociabilité, la délicatesse, l’éclat, le coloris du Midi. Ce mélange, qui nous a donné dans le passé, comme dans le présent, nos grands artistes et nos grands écrivains, a permis aux Wallons et aux Flamands de verser leurs qualités propres au trésor commun de l’âme nationale. L’âme nationale les a fondues ensemble pour en faire le métal solide qui est la marque distinctive de notre caractère. »

Toute notre histoire nationale confirme la vérité de ce jugement et nous apprend que les difficultés soulevées par le dualisme des idiomes n’ont jamais rien eu d’irréductible en Belgique, qu’elles n’y ont nullement contrarié la constitution unitaire du pouvoir et qu’elles y ont toujours été résolues en fin de compte par des concessions mutuelles, grâce au bon sens des populations, qui retentit jusque dans les assemblées délibérantes. Dans le passé comme dans le présent, ces différences de langage ont été atténuées et conciliées par le besoin séculaire de vivre associés, par la similitude des institutions, des traditions religieuses, des idées juridiques, des intérêts économiques et des goûts artistiques. Il en sera toujours ainsi entre les deux groupes belges qui obéissent aux mêmes exigences sociales, qui partagent les mêmes aversions et les mêmes amours, qui mélangent leur sang dans des milliers de familles et qui l’ont versé ensemble si souvent pour des causes communes.

Dans notre vie nationale, le débat de l’Université de Gand n’est donc qu’un nouvel épisode d’un problème millénaire qui n’a jamais pu être réglé par l’exclusivisme ou la contrainte, mais seulement par la conciliation. La meilleure solution qui pourra être donnée à cette querelle de ménage sera celle qui ne lésera aucun intérêt respectable et qui organisera, dans l’enseignement de cette Université, la coexistence de deux langues auxquelles les étudiants pourront librement demander leur formation supérieure.


H. CARTON DE WIART.