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découvre dans la propagande en faveur du « Gent of niets, » — ne se concilie pas davantage avec le souci d’innombrables familles flamandes, parmi les plus humbles, d’assurer à leurs enfants la connaissance d’une langue de grande circulation telle que le français, sans laquelle elles savent bien qu’un homme est condamné en Belgique à ne pouvoir faire rayonner son activité que dans un cercle très restreint. Que de fois j’en ai recueilli l’écho dans les cantons flamands des environs de Bruxelles où je compte, depuis plus d’un quart de siècle, mes plus fidèles électeurs ! Parmi mes documents de guerre, je conserve, avec piété, une lettre d’un modeste héros civil, un ouvrier cordonnier du pays de Waes, nommé Joseph Loucke, qui fut fusillé à Gand par les Allemands, le 14 juillet 1917, pour crime de patriotisme. Quelques heures avant d’être exécuté, il écrivait à sa femme ses derniers adieux et ses dernières volontés.

Voici le texte de sa lettre, que je traduis du flamand : Ma chère femme, je meurs en martyr et je me soumets entièrement à la volonté de Dieu. Notre enfant, qui nous aime tant, sera un jour votre appui et votre consolation. Donnez-lui une bonne éducation, qui lui permette de gagner sa vie... Je pars tranquille. Une seule chose me préoccupe ; le sort de ma femme et de mon enfant. Apprenez-lui bien le français, pour qu’il puisse faire son chemin dans le monde.

Ce même souci explique que de nombreux parents, en Flandre, souhaitent que leurs fils fassent leurs études universitaires en langue française. Cette préférence, ils pourront continuer à la réaliser, si les cours français subsistent à Gand. Ce n’est point y satisfaire que de leur dire : « Ces cours disparaîtront, mais vos fils pourront, en toute liberté, s’ils le désirent, aller s’instruire à Bruxelles, à Louvain ou à Liège. » C’est à propos d’un raisonnement du même genre que Montalembert raillait « la liberté des pères de famille qui ont vingt mille livres de rente. » Autre chose est d’ailleurs de considérer théoriquement quel serait le meilleur parti à prendre au cas où il n’existerait point une école supérieure française à Gand, et autre chose est d’ordonner la suppression de celle qui existe. Le fait de la possession, — qu’il s’agisse d’un droit ou d’un simple avantage, — n’est jamais chose négligeable.

Les anti-flamingants invoquent enfin, contre l’unification linguistique en pays flamand, que la diffusion d’une langue