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gens aisés qui y ont toujours vécu, dont l’origine et l’ascendance sont toutes flamandes et qui ne font guère usage dans la conversation, dans la lecture, dans l’écriture, d’une autre langue que de la langue française. Ce phénomène, que l’on constate depuis le Moyen-âge, s’explique par des considérations économiques, politiques et morales, par des traditions familiales ou par des préférences individuelles. Il a permis d’affirmer que les Flandre ; forment une région bilingue, où la langue française n’est nullement une langue étrangère.

Toutefois, ce phénomène ne doit pas masquer la réalité des choses, telle que l’expriment les statistiques et que la révèle une observation un peu attentive. Qu’on l’appelle ou non une élite, cette partie de la population flamande dont le français est la langue courante, constitue, au point de vue du nombre, une très faible minorité. Auprès d’elle, vit et se renouvelle la masse de la population de quatre provinces et demie dont le flamand est le moyen d’expression, non seulement usuel, mais unique.

A cette masse il serait bien vain de dire que sa langue ne lui rend pas tous les services que pourrait lui assurer tel autre idiome européen, qu’elle ne lui facilite pas les relations internationales et que mieux vaudrait en apprendre une autre. Tous ces discours ne lui toucheraient point l’âme. Or, la langue tient à l’âme d’un peuple, et les arguments de raison pure font un bien médiocre contrepoids à la prédilection et à la fidélité instinctives que ce peuple lui voue. Les hommes gardent et garderont toujours un attachement invincible pour la langue dans laquelle se sont extériorisés leurs premiers désirs, leurs premières idées, leurs premières prières, leurs premières tendresses. Ce sentiment est plus fort que tout le reste, et un délicat poète west-flamand, Guido Gezelle, l’a très bien analysé en un quatrain fameux :


Mijn Vlaandren spreekt een eigen taal,
God gaf elk land de zijne
En laat ze rijk zijn, laat ze kaal
Z’is Vlaamsch en z’is de mijne ! [1]


A cette affection instinctive pour la langue maternelle, est

  1. Ma Flandre parle une langue qui est bien à elle. A chaque contrée Dieu a donné la sienne. Que m’importe que cette langue soit riche ou qu’elle soit misérable ! C’est la langue flamande et c’est la mienne !