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fut strictement obéie jusqu’à la libération du territoire. En vain, le gouverneur général von Bissing invita-t-il tout d’abord les professeurs de l’Université de Gand à renouer le fil interrompu de leur enseignement. Le corps professoral, réuni en conseil académique, s’y refusa à l’unanimité. A ce moment, inaugurant par une première manœuvre le plan de la « séparation administrative » qu’elle devait poursuivre dans nos provinces jusqu’à la veille de l’armistice, l’autorité ennemie annonça son intention de transformer l’Université de Gand en une institution de langue flamande, sous le nom de « Vlaamsche Hoogeschool. » Un décret du général von Bissing du 31 décembre 1915 consacra cette transformation.

S’il avait pu s’imaginer un moment que cette tactique fût de nature à séduire les leaders du mouvement flamingant qui, avant la guerre, avaient souhaité et demandé que la langue flamande fût reconnue comme la langue de l’enseignement supérieur à Gand, le lourd Machiavel teuton ne put conserver longtemps cette illusion. De toutes parts, les protestations surgirent indignées, et ceux qui avaient qualité pour parler au nom des populations flamandes, ne furent ni les moins empressés, ni les moins énergiques à dénoncer l’astuce du procédé. S’adressant directement au gouverneur général, ils lui écrivaient : « L’honneur et la dignité sont aussi, pour un peuple occupé, des biens inappréciables. Comment l’histoire nous jugerait-elle, nous autres Flamands, si, à une époque où nos fils combattent encore dans les tranchées, nous acceptions des avantages des mains du conquérant, même sous forme de rétablissement du droit ? Dans le passé, notre peuple a toujours tenu à régler lui-même dans son propre pays ses propres affaires. »

Pour terroriser le corps professoral gantois, qui refusait de se prêter à ses vues, le gouverneur général fit brutalement arrêter et expédier en Allemagne, le 18 mars 1916, sans aucune forme de procès, deux des maîtres les plus éminents de l’Université, M. Henri Pirenne et M. Paul Frédéricq, dont il redoutait l’influence sur leurs collègues. Le seul résultat fut qu’au lendemain de cette déportation, les professeurs envoyèrent au gouverneur général une protestation collective, aussi digne de ton que de pensée, par laquelle ils se déclaraient tous solidaires des deux grands citoyens qui venaient d’être ainsi frappés.

Dans l’embarras qu’elle éprouvait à exécuter sa propre décision,