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succès de la société ; qui ne pensait qu’à le rendre heureux, à l’envelopper de sa fervente adoration.

Elle lui était devenue si continuellement nécessaire, qu’il osa l’installer au Palais d’hiver, sous le même toit que l’Impératrice.

On aménagea donc pour elle, au deuxième étage du palais, une suite de trois grandes pièces, qui correspondaient exactement, porte pour porte et fenêtre pour fenêtre, aux chambres que le Tsar occupait en dessous : un ascenseur établissait une communication directe entre les deux appartements.

L’impératrice Marie-AIexandrowna, dont l’appartement était contigu à celui de l’Empereur, ne fut pas longtemps à connaître l’étrange voisinage qui lui était imposé. Elle accepta, sans un mot de plainte, cette épreuve nouvelle. Usée de chagrin, consumée de phtisie, sentant venir la mort, elle trouva dans le souci de sa dignité la force de paraître plus hautaine et plus inabordable encore. Une fois pourtant, une seule fois, elle s’épancha devant son unique et très discrète amie, la comtesse Alexandrine Tolstoï, qui avait été la gouvernante de sa fille, la grande-duchesse Marie, avant qu’elle n’épousât le duc d’Edimbourg. Montrant du doigt l’appartement de sa rivale, l’infortunée Tsarine laissa tomber ces mots : « Je pardonne les offenses qu’on fait à la souveraine ; je ne peux prendre sur moi de pardonner les tortures qu’on inflige à l’épouse. »

L’installation de la favorite dans le majestueux Dvoretz, qui semble évoquer sur les bords de la Néwa toute la gloire des Romanow, fit scandale. Ce fut bientôt la fable indignée des salons ; car, si retirée que vécût Catherine-Michaïlowna, si attentive qu’elle fût à éviter les regards et à se confiner dans son appartement, le fait de sa présence au palais se manifestait à chaque instant. Puisqu’elle habitait la demeure des souverains, elle ne pouvait y avoir d’autres serviteurs que ceux de la domesticité impériale ; elle devait forcément recourir, pour son ménage personnel, aux intendants de la Cour, aux valets de la Cour, aux cuisines de la Cour, aux écuries de la Cour ; ce n’était plus la liaison discrète et clandestine : c’était l’adultère affiché.

On reprit donc, mais sur un ton beaucoup plus vif, les critiques anciennes que les émotions de la guerre balkanique avaient fait oublier peu à peu. On y ajoutait d’antres reproches qui visaient principalement la maîtresse : on lui attribuait une