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clauses qui fondaient la prédominance de la Russie dans la péninsule balkanique. Une convention secrète, signée le 30 mai, termina la crise.

Deux mois plus tard, le congrès de Berlin proclama solennellement les principes de cette convention, qui enlevait au peuple russe les plus beaux fruits de sa victoire ou, du moins, ceux qui flattaient le plus son orgueil national.

Et ce fut en effet avec une amère douleur que le peuple russe accueillit le traité de Berlin. Dédaigneux des grands avantages politiques et territoriaux que ce traité lui maintenait, il ne voulut y voir qu’une banqueroute de l’honneur national.

Ces événements allaient retentir d’une façon étrange sur la destinée d’Alexandre II.


Dès son retour dans sa capitale, il avait repris, avec Catherine-Michaïlowna, les relations quotidiennes d’autrefois. Mais, si les épreuves de la guerre balkanique l’avaient exténué physiquement, elles ne l’avaient pas moins altéré moralement. Sa sensibilité affectueuse, déjà si prompte à s’émouvoir, s’était encore avivée : elle l’entretenait dans un continuel besoin d’effusion tendre et d’intimité secrète. Parfois aussi, une lourde mélancolie, un immense découragement l’accablait soudain. Son rôle de tsar ne l’intéressait plus. Tout ce qu’il avait tenté au cours de son règne avait échoué. Aucun empereur plus que lui n’avait souhaité le bonheur de son peuple : il avait aboli le servage, supprimé la peine des verges, institué le jury, opéré dans toutes les branches de l’administration les réformes les plus sages et les plus libérales. Il n’avait jamais ambitionné, comme tant d’autres tsars, les lauriers sanglants de la gloire. Cette guerre d’Orient, que n’avait-il fait pour la conjurer ? N’était-ce pas son peuple qui la lui avait imposée ? Enfin, ne venait-il pas d’empêcher un nouveau conflit ?... Et quelle était sa récompense ? Tous les rapports de ses gouverneurs provinciaux lui montraient que la nation, déçue dans ses rêves, s’en prenait à lui ; tous les rapports de sa police lui dénonçaient un effrayant progrès de la fermentation révolutionnaire.

Alors, dans le désarroi de son âme, il se retournait éperdument vers la belle créature qui lui avait sacrifié son honneur ; qui avait renoncé pour lui aux plaisirs du monde et aux