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ne cite aucune guerre de montagne qui ait imposé aux combattants un effort si dur et si meurtrier.

Mais le passage de ces défilés eut un résultat énorme, au point de vue stratégique. La route de Constantinople était désormais libre ; la Turquie n’avait plus que des tronçons d’armée ; la guerre était virtuellement finie.

Le 31 janvier, le grand-duc Nicolas et les plénipotentiaires ottomans signaient à Andrinople une convention d’armistice, tandis que la cavalerie s’avançait, à toute vitesse, jusqu’à la mer de Marmara.

Cette avance rapide mit l’Europe et surtout l’Angleterre en alarme. Une escadre britannique pénétra aussitôt dans les Dardanelles et vint mouiller aux îles des Princes, à cinq milles de Constantinople.

Le grand-duc Nicolas n’en imposait pas moins à la Turquie le traité de San-Stéfano, qui établissait l’hégémonie russe dans toute la péninsule des Balkans, depuis le Danube jusqu’à la Propontide.

Alors, le Gouvernement britannique, ne voulant pas admettre que la Russie réglât seule, à son profit, la question d’Orient, ordonna la mobilisation générale de ses forces militaires et maritimes. S’il ne pouvait aligner que peu de troupes et d’une instruction médiocre, il avait du moins assez de navires pour porter la dévastation sur les côtes russes, dans le golfe de Finlande, dans la Mer-Blanche, dans la Mer-Noire et jusque dans les parages de Vladivostock.

Cette attitude résolue provoqua en Russie une explosion de colère. Le même cri s’élevait de toutes les poitrines : « Le traité de San-Stéfano est intangible ; le peuple russe a dit son dernier mot. C’est par un défi que nous devons répondre à l’insolence de l’Angleterre. »

Mais le Tsar, le prince Gortchakof, le grand-duc Nicolas lui-même reconnaissaient qu’il fallait, à tout prix, éviter une rupture. Deux motifs graves, que l’on cachait soigneusement, leur dictaient cette résignation : le trésor de l’Empire était à bout de ressources ; l’armée, qui campait aux portes de Stamboul, était ravagée par le typhus. Le comte Schouvalof fut donc chargé d’ouvrir confidentiellement une négociation avec Lord Salisbury pour adapter le traité de San-Stéfano aux exigences de la thèse britannique : il dut abandonner ainsi toutes les