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artillerie formidable les écrasait. Alors, mais alors seulement, leur chef, blessé, s’inclina devant le destin. Refusant de signer une capitulation, Osman-Pacha se remit à la discrétion de son vainqueur avec les débris glorieux de son armée.

Le lendemain, Alexandre II fit célébrer un Te Deum dans la principale redoute de la ville conquise. Il procéda ensuite à une ample distribution de médailles et de récompenses : le grand-duc Nicolas, généralissime, reçut la grand croix de Saint-Georges.

Comme la cérémonie se terminait, les assistants furent stupéfaits de voir approcher dans une voiture, le torse enveloppé de bandages, Osman-Pacha. La veille au soir, tandis qu’on le transportait à Svistow pour le conduire à Bucarest, le chef de son escorte avait reçu l’ordre de le ramener à Plewna : le Tsar exigeait qu’il lui remit, à lui-même, son épée. En apprenant cette exigence cruelle, si étonnante de la part d’un monarque chevaleresque, le héros turc avait dit simplement : « Je ne croyais pas avoir mérité cette humiliation suprême. »

Arrivé dans la redoute où l’Empereur l’attendait avec tout son état-major, Osman-Pacha fut descendu de voiture par deux de ses soldats qui le portèrent, sous les bras, jusqu’auprès du souverain. Malgré la gêne de ses bandages et la douleur de sa blessure, il n’accepta aucune aide pour tirer son épée du fourreau et, d’un geste noble, il la remit à son vainqueur.

Alexandre ne fit que la saisir entre ses doigts :

— Je vous rends votre épée, dit-il aussitôt. Gardez-la toujours en témoignage de mon admiration et de mon respect.


V

La prise de Plewna permettait à l’armée russe de reprendre sa marche à travers les Balkans ; la guerre allait donc entrer dans une nouvelle phase.

Après avoir hâtivement réglé, avec son état-major, le programme des opérations futures, Alexandre II s’empressa de revenir à Saint-Pétersbourg.

Il y arriva le 23 décembre, à dix heures du matin.

La famille impériale, tous les dignitaires de la Cour, tout le clergé de la capitale, tous les ministres, tous les membres du Conseil de l’Empire et du Sénat dirigeant l’attendaient en