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Le 12 novembre, le grand-duc Nicolas apprit, par quelques prisonniers enlevés dans l’assaut d’un bastion, que les officiers et soldats de la garnison assiégée ne recevaient plus chacun, pour leur ration quotidienne, que cinquante grammes de pain, une poignée de riz et trois épis de maïs. Il crut donc le moment venu pour proposer à Osman-Pacha de se rendre « par devoir d’humanité, » puisque toute résistance était vaine désormais : « Je saurai, concluait-il, honorer dans votre personne, comme dans les braves troupes placées sous vos ordres, des guerriers dignes d’estime et de considération. » Osman-Pacha répondit : « Quoique je partage le sentiment d’humanité, que Votre Altesse a bien voulu m’exprimer, je ne saurais m’arrêter un seul instant à l’idée de faire mettre bas les armes à mes héroïques soldats. Nous sommes résolus, ma brave armée et moi, à verser jusqu’à la dernière goutte de notre sang pour l’honneur de notre patrie et la défense de ses droits. »

Consterné par cette noble réponse, Alexandre II reprit le fardeau épuisant de ses inquiétudes et de ses tristesses.

Il reçut pourtant, le 19 novembre, une nouvelle heureuse.. En Arménie, le général Loris-Mélikow venait d’enlever la citadelle de Kars, qui résistait depuis quatre mois. Ce fut un précieux réconfort pour les assiégeants de Plewna.

Mais, quelques jours plus tard, l’armée du grand-duc Nicolas fut exposée à une catastrophe. Par l’effet d’une crue soudaine, le Danube rompit ses glaces qui, dans leur débâcle, arrachèrent les ponts de Braïla et de Simnitza. Une offensive des Turcs, en ce moment critique, aurait pu contraindre l’armée russe à capituler tout entière. Tant que les ponts n’eurent pas été rétablis, le Tsar vécut dans une angoisse mortelle, qui tendait éperdument son âme vers Catherine.

Enfin, le 10 décembre, à l’aube, par un brouillard épais et glacial, les sentinelles des avant-postes russes qui encerclaient Plewna, signalèrent un grand mouvement de troupes dans les tranchées turques.

Bientôt, on aperçut la petite armée d’Osman-Pacha qui se déployait dans la plaine et qui, d’un élan superbe, montait à l’assaut des ouvrages russes pour se frayer un passage ; toute la garnison était là, 38 000 hommes environ.

Après six heures d’une lutte opiniâtre, ces vaillants soldats enlevèrent la première ligne ennemie ; mais, de trois côtés, une