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pas croire qu’après vingt années de recueillement, la monarchie des Tsars étalât devant le monde les mêmes défauts, les mêmes vices que pendant la guerre de Crimée. Bientôt, la colère était venue, une colère âpre et vitupérative, qui recevait naturellement son expression la plus forte dans les milieux nationalistes de Moscou. On dénonçait de toutes parts la faiblesse et la sottise du Gouvernement, l’incurie et la vénalité de l’administration, l’ignorance et l’ineptie des généraux. On se répandait en récriminations sarcastiques, en moqueries injurieuses contre les grands-ducs Nicolas, Michel, Alexandre, Wladimir, incapables d’exercer les commandements militaires que leur avait distribués la faveur impériale.

On osait même attaquer l’Empereur. Que faisait-il dans son cantonnement de Gorny-Studena ? Pourquoi cette inaction, pourquoi cette attitude effacée ? Les journaux ne parlaient de lui que pour annoncer qu’il avait salué des troupes au passage, visité des ambulances, réconforté des blessés, décoré des mourants, prié sur des tombes. Rien de plus touchant, certes. Mais était-ce là tout le rôle d’un souverain ?

Puisqu’il n’avait pas voulu prendre le commandement effectif de ses armées, pourquoi restait-il au milieu d’elles ? Pourquoi ne rentrait-il pas dans sa capitale, afin d’y ressaisir les rênes du gouvernement ? Il aurait eu cependant de quoi faire pour ramener ses ministres et ses fonctionnaires à la conscience de leurs devoirs publics !...

On en arrivait ainsi, non plus seulement à rechercher les responsabilités personnelles, mais à critiquer les institutions mêmes et jusqu’aux principes du tsarisme. Dans plusieurs salons de Moscou, on parlait ouvertement de changer le régime, auteur de tant de maux. Et le fougueux champion du panslavisme orthodoxe, le principal instigateur de la guerre, Ivan-Serguéïéwitch Aksakow, ne craignait pas de réclamer la convocation immédiate d’une assemblée nationale.


Avec les premiers jours d’octobre, survinrent les grands froids, que les vents de la région arctique apportent chaque année par-dessus la plaine russe. Des rafales de neige déferlaient incessamment sur les montagnes bulgares.

Confiné dans son triste village de Gorny-Studena, l’Empereur