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En même temps, des nouvelles désolantes arrivaient du Caucase. Après une campagne engagée sous d’heureux auspices, les troupes du grand-duc Michel avaient été contraintes de lever le siège de Kars, puis d’évacuer rapidement l’Arménie. Pendant leur retraite, Mouktar-Pacha les avait taillées en pièces, à Kizil-Tépé.

Par surcroît, l’horizon diplomatique se chargeait de nuages. L’impérialisme britannique, ce « rêve juif, » comme on l’a nommé si justement et qui ne pouvait naître que dans le cerveau hébraïque d’un Disraeli, commençait à passionner l’imagination anglaise ; le ton du Foreign-Office devenait menaçant ; la reine Victoria elle-même se montrait belliqueuse. Et, continuellement, la garnison de Malte recevait des renforts.

A chaque nouvelle qu’il recevait de Londres, Alexandre II frémissait de colère. Le 28 août, il s’en épanchait avec la princesse Dolgorouky :

Retour de Londres de Wellesley. Ses impressions très mauvaises quant aux dispositions du public anglais à notre égard. Malgré cela, il m’a apporté les assurances les plus positives de son gouvernement : qu’il garderait la neutralité et nous désirait du succès pour arriver le plus vite possible à la paix. Mais il m’a prévenu en même temps que, si la guerre durait jusqu’à l’année prochaine, l’Angleterre prendrait fait et cause pour la Turquie contre nous. Et, quand je lui ai demandé : « Pourquoi ?... » alors, il n’a su me répondre rien d’autre que : « Le Gouvernement britannique ne pourrait pas résister à l’opinion du peuple anglais qui désire la guerre avec la Russie. » Voilà un échantillon de la logique anglaise... Quelles canailles !

Le 29 août, il écrivait encore à Catherine-Michaïlowna :

J’ai eu, de nouveau, une assez longue conversation avec Wellesley. J’en ai tiré la conclusion que le Gouvernement anglais ne se montre plus modéré, pour le moment, que parce qu’il espère qu’après le guignon que nous avons eu ce dernier temps, nous n’aurons plus le temps, cette année, de marcher sur Andrinople et Constantinople jusqu’à l’hiver. Si, par contre, Dieu nous accordait des succès, et que nous fassions cette marche, rien ne nous garantirait que l’Angleterre ne nous déclare la guerre encore cette année, malgré les soi-disant bons vœux pour le succès de nos armes, que Wellesley m’a apportés de la part de cette vieille folle de reine. Et il n’a pas osé le nier. J’ai fini par