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Il lui écrivait encore, le lendemain :

J’ai reçu la confirmation du rejet du protocole ; mais pas un mot de l’envoi de l’ambassadeur, ce qui sera probablement rejeté. Alors seulement, nous pourrons fixer le commencement des hostilités et la publication du manifeste. Tout cela me poursuit, je l’avoue, comme un cauchemar.

Dès lors, les événements se précipitent. Le 24 avril, le chargé d’affaires de Russie à Constantinople, Nélidow, remet au grand-vizir la déclaration de guerre. Ce même jour, l’armée de Bessarabie, commandée par le grand-duc Nicolas, franchit le Pruth et se dirige vers le Danube. Simultanément, l’armée du Caucase, commandée par le grand-duc Michel, envahit l’Arménie turque. C’était la quatrième fois en soixante-huit ans que l’aigle bicéphale des tsars, venu jadis de Byzance à Moscou par l’héritière des Paléologue, assaillait l’empire turc.


L’opinion russe, si exaltée, si impatiente, éprouva tout de suite une déception.

Le transport de l’armée vers le Danube ne s’effectua qu’avec une lenteur extrême, l’Etat-major n’ayant à sa disposition que deux lignes de marche et une seule voie ferrée. Puis les intempéries s’en mêlèrent. Pendant le mois de mai, des pluies torrentielles transformèrent la plaine moldave en un immense marécage, où les troupes s’épuisaient, où les convois s’embourbaient. Il fallut ainsi un mois et demi pour amener 233 000 hommes sur la rive gauche du Danube ; le déploiement stratégique ne fut achevé que le 1er juin.

Alors commença une opération, difficile entre toutes, le passage du fleuve.

Se conformant à l’exemple de son père Nicolas Ier, qui était venu présider en 1828 à la même opération, Alexandre II avait résolu d’être au milieu de ses troupes, quand elles franchiraient le Danube.

Il s’était rendu, le 24 avril, à Kichinew pour y lancer le premier ordre de marche. Dans un manifeste solennel, il avait dit à ses soldats : « En vous ordonnant d’attaquer la Turquie, je vous bénis, mes enfants ! »

Puis il avait attendu là, dans le monotone chef-lieu de la Bessarabie, le jour où il pourrait rejoindre son armée sur la