Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 13.djvu/557

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

meilleures volontés et désirs pour me servir, et pour l’avenir de notre chère Patrie ; il vit dans l’Autriche le sentiment de la crainte, opinion que, depuis une semaine, je partage aussi moi. Ce qu’elle fit, fut pour nous effrayer. Actuellement, elle craint la guerre et est prête, sauf que je me trompe, s’il y a le Congrès, à céder. S’il n’y a pas le Congrès, c’est la guerre ; si le Congrès a lieu, elle cédera et cédera en délivrant toute la droite du Pô de sa possession, et alors, pour le moment, si on ne peut pas faire mieux, cela me suffirait ; le premier coup de pied lui serait donné, et, dans une époque pas très reculée, on ferait le reste, et [à] meilleures conditions, et cela serait mon affaire. Ce qui me fortifie toujours plus dans ces idées, c’est le détail que j’ai eu hier d’un Conseil tenu par l’Empereur à Vienne, où il y avait tous les archiducs, vieux et jeunes, Buol et Ess. L’Empereur voulait tout détruire. Le doyen des archiducs et Ess lui dirent de terribles vérités, pour ne pas faire d’imprudences, et pour céder afin de ne pas perdre le tout. Demande à Nigra, je lui ai tout conté.

Mon cher, je viens de recevoir une charmante nouvelle. On vient de m’apporter une dépêche : on va proposer à France, Autriche et Piémont, de désarmer ensemble, et que la France accepte, il ne manquerait plus que cela pour aller en avant. Si cette proposition est faite à Piémont et à Autriche, très bien ; Piémont répondra non jusqu’après Congrès, avec politesse pourtant. Mais si l’Empereur l’admet aussi, que dois-je faire ? Si je refuse, l’avenir de ma politique est ruiné au Congrès. Si j’accepte le désarmement avant le Congrès, et sans un résultat qu’on puisse faire comprendre aux Italiens, je passe pour un traître, et l’Empereur aussi. Est-il possible qu’on agisse toujours ainsi et qu’on me mette toujours dans de tels embarras, lorsque moi, j’ai toujours agi si loyalement avec la France ? Qu’avez-vous à craindre, vous autres, puissante nation, lorsque moi, si petit, je tiens la tête haute en face du monde entier, et que je ne crains rien ?

En un mot de vendredi ou samedi, fais-moi savoir en chiffre, 1° s’il y aura conférence et quand ; 2° si France accepte désarmement. Je t’en prie.

Adieu, je t’embrasse, toi et ta femme, je vous aime tant.

Ton très affectionné beau-père.

VICTOR-EMMANUEL.