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donné ouverture au « casus fœderis, » et eût jeté sur leurs derrières les forces qui n’étaient point négligeables des États confédérés. Un demi-siècle ne s’était point écoulé depuis que la défection, à Leipzig, des régiments, jusque-là, si humblement serviles, avait changé la fortune de la guerre, et interrompu l’épopée française.

Il fallait donc une extrême circonspection, d’une part, pour empêcher l’Allemagne, et surtout la Prusse, de se mêler à la guerre ; d’autre part, pour amener l’Angleterre à un Congrès auquel serait soumis le problème italien. Que ce Congrès aboutît à un résultat efficace, il était permis d’en douter ; mais l’Angleterre n’aurait plus rien à objecter.

L’essentiel était encore que, dans ce Congrès, le Piémont fût admis sur le pied des grandes Puissances. En lui ménageant, par la participation qu’il lui avait assurée à la guerre de Crimée, l’entrée au Congrès de Paris, l’Empereur lui avait inspiré un tel orgueil et une telle assurance qu’il l’avait mal disposé à des concessions que réclamait sa politique moins pressée. Aussi eût-il admis que, à côté du Piémont, figurassent au Congrès les États souverains de l’Italie centrale et de l’Italie méridionale, ce que Cavour se refusait violemment à accepter. Cavour n’admettait point qu’il pût risquer ainsi cette extraordinaire posture qu’avait value à son pays l’amitié de la France.

Ce sont là les points essentiels, traités et résolus, dans les dépêches échangées du 17 mars au 14 avril, entre Napoléon III, auquel le prince Napoléon sert d’interprète, et le comte de Cavour. Ce dialogue télégraphique prend une extraordinaire acuité. Le froissement des épées, les feintes des adversaires, les nouvelles qu’ils imaginent, et dont ils garantissent la véracité douteuse, les paniques qu’ils provoquent, les pièges qu’ils tendent et où l’adversaire s’empresse de se jeter, tel est, durant ce mois tragique, le spectacle qu’ils donnent. Il est permis de dire que les jouteurs sont de premier ordre, et que l’un n’est point inférieur à l’autre.


Le 17 mars, à neuf heures et demie du soir, Nigra télégraphie à Cavour, en se servant du chiffre du Prince Napoléon [1] :


J’ai vu l’Empereur aujourd’hui. Sa Majesté croit indispensable que la note contienne l’assurance explicite que nous n’attaquerons pas, puisque l’Autriche a consenti déclaration analogue...

L’Empereur m’a dit que lord Cowley n’a porté aucune proposition et que sa mission n’a abouti à rien de concret.

  1. Les télégrammes de Cavour sont donnés ici d’après les originaux, déchiffrés par le Prince lui-même.