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Mgr de la Goyaneche a fondé ici et que sa famille entretient, bien qu’elle habite ordinairement Paris.

La population d’Arequipa dépasse cinquante mille habitants ; séduit par les belles eaux de la rivière, Pizzare l’a fondée dans ce désert et créé ainsi une oasis. C’est la seconde ville du Pérou et son long isolement lui a conservé un caractère espagnol plus prononcé que celui de Lima. Les maisons sont assez solidement construites et elles ont gardé leur caractère original. Dans les pays où sont à craindre les tremblements de terre, on bâtit avec des matériaux très légers, et ici les murs sont épais et solides ; de belles ferronneries défendent les fenêtres du rez-de-chaussée et ornent les balcons. Mais les maisons sont moins jalousement fermées qu’en Espagne et des grilles laissent voir un patio intérieur, avec ses arbustes fleuris. On sent une vie intime, ouverte pourtant au monde extérieur, sociable.

Le club où nous sommes chaleureusement accueillis, nous montre le centre de ces relations ; on y trouve les journaux d’Europe et d’Amérique, surtout les journaux et les livres français. C’est une maison historique ; on nous montre la chambre où le jeune général Salaberry, qui avait pris le pouvoir et lutté malheureusement contre Santa-Cruz au moment de la réunion éphémère entre le Pérou et la Bolivie, fut « mis en chapelle » avant son exécution.

Ici, un patriotisme très vivace s’accommode d’une vie provinciale très intense. Arequipa a vu naître de nombreuses révolutions, et la plus romanesque est celle de 1842 : la jeune et belle dona Cypriana La Torre de Vivanco, pendant que son mari, alors préfet d’Arequipa, était en tournée, monta à cheval une belle nuit et se présenta à deux régiments campés près de la ville. Elle réveille les officiers, rassemble les troupes, les harangue à la lueur des torches, et fait proclamer son mari dictateur. Elle l’amena à Lima, et il exerça le pouvoir jusqu’en août 1845, où il fut battu précisément aux portes d’Arequipa.

Je reçois les officiers de la garnison à dîner, puis nous partons à minuit pour Puno. C’est seulement au retour que nous pourrons admirer le passage des Andes. Au réveil, nous avons déjà franchi la crête ; nous sommes dans les brumes de la Puna, et nous ne voyons guère que les abords immédiats de la ligne : des rochers, quelques arbrisseaux rabougris, des étangs. Mais