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sensible à tous : nul n’y pourrait toucher sans impiété. Sans doute, les intérêts divergents peuvent créer des discussions, mais les souvenirs communs empêcheront en France, pendant bien longtemps, les conflits de s’envenimer. Et je termine en souhaitant que le Pérou n’ait pas besoin de terribles cataclysmes pour comprendre et sentir tous les liens, visibles ou cachés, qui existent entre les citoyens de la même patrie. Il semble que mes paroles, traduites phrase par phrase, ont été comprises.

Le curé de Jauja est Français, ainsi que son vicaire : il m’emmène visiter son église, qu’il a reconstruite, et le presbytère bâti par lui. Il me montre une salle de théâtre, la seule qui existe à 50 lieues à la ronde, où l’on joue du Molière traduit en espagnol, et son cinéma. C’est le vicaire qui est l’architecte de toutes ces constructions.

Une religieuse de Saint Vincent de Paul, sœur Louise, insiste pour que j’aille visiter son hôpital. Le climat est particulièrement favorable à la guérison de la tuberculose et les malades y viennent de la Costa et aussi des sommets de la Puna. Voici deux pavillons construits l’an dernier ; deux autres s’achèvent, et voilà l’emplacement de ceux qui s’élèveront l’année prochaine. Le tout est vaste, solide, bien compris : c’est toujours le vicaire qui est l’architecte. Après avoir admiré, je me permets de poser une question : « Pour une telle œuvre de longue haleine, vous disposez donc de crédits certains. Sur quel budget ? La Ville, la Province, l’Etat ? — Pas un soles, me répond la sœur Louise ; quand j’ai besoin d’argent, je fais une vente de charité, je quête, et l’argent vient. »

Dans la salle d’honneur, je suis présenté aux dames patronnesses de l’œuvre. Un petit concert s’improvise. La conversation tombe naturellement sur la musique et les danses incaïques. J’ai quelque idée de la musique, mais j’avoue n’avoir jamais vu les danses. La sœur Louise dit quelques mots, et voici qu’un couple exécute la Marinera, que je n’ai pu voir à Lima, parce que trop osée... Ici, elle est gracieuse et modeste. Mais je soupçonne les danseurs de l’avoir fortement expurgée.

Après avoir vu tout ce que l’apostolat et le dévouement peuvent tirer de la charité dans ce magnifique pays, je ne quitte pas la bonne sœur sans émotion. Ainsi, dans toute la région depuis Lima jusqu’à l’Amazone, je n’ai trouvé comme Français