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Avant de déboucher dans la plaine, la route rejoint la rivière et la traverse deux fois sur un pont suspendu qui fléchit d’un grand mètre sous le poids de l’automobile, puis se redresse. Nous voici dans la plaine où commencent presque aussitôt de riches cultures, les champs de canne à sucre, puis les vergers d’orangers, de citronniers, de bananiers, de palcas... Une automobile nous barre la route, amenant des notables qui viennent nous saluer ; ils nous guident rapidement au village de San Ramon, que décorent quelques drapeaux et qui fut longtemps un poste avancé. Mais nous ne pouvons nous y arrêter et nous continuons notre course.

Notre torrent, que nous retrouvons bientôt, est devenu une grande rivière, le Rio Perené, dont les rives découvrent un large lit de cailloux gris bleu. La chaleur est venue et nous enlevons nos manteaux, puis nos vêtements de drap, pour nous trouver en toile blanche. Nous sommes encore trop près de la Cordillère pour en distinguer le sommet, mais les pentes abruptes d’où nous sortons sont visibles à une grande hauteur. Le pays se découvre à chaque éminence de notre route ; le large horizon montre à perte de vue sous le brûlant soleil les méandres de la rivière limpide, les grands arbres, les champs et les hautes herbes de la prairie. Il me rappelle la partie méridionale de notre Soudan et nous sommes, en effet, dans la zone intermédiaire entre la steppe et la forêt.

Vers une heure de l’après-midi nous arrivons à la Merced, terme de notre excursion. C’est un village perché militairement sur une colline d’accès assez difficile, et qui fut aussi à son heure un poste avancé. Il n’y a plus ici que des ouvriers agricoles au service des propriétaires ; j’aurais voulu voir des Indiens libres, et on les a mandés ; mais ils sont loin et nous n’avons pu les attendre. Nous déjeunons, et l’un de nos hôtes évoque le souvenir du colon français qui le premier cultiva ce sol si riche et sut apprivoiser les Indiens : il est mort, mais en souvenir de lui, je dois accepter quelques parures indiennes en graines blanches et rouges et des dépouilles d’oiseaux aux magnifiques couleurs. Plus loin, c’est la forêt équatoriale, avec l’indéfinie diversité de ses essences et de ses richesses : les multiples variétés des arbres à caoutchouc, les bois précieux ; puis les quinquinas, les champs de coca, les caféiers, le tabac...

Le temps fuit, la route est longue et médiocre pour l’automobile :