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Tarma n’est qu’à 3 000 mètres d’altitude et c’est un lieu de repos et de plaisance pour les résidents des centres plus élevés qui y échappent au « sorrotché. » Une jolie rivière y arrose des plantations d’eucalyptus et de peupliers ; de belles cultures l’entourent ; la ville est assez bien bâtie et en entrant dans quelques magasins, je constate un commerce intéressant de fourrures et d’objets en cuir curieusement travaillés, particulièrement les harnais et la sellerie. Avant de quitter Tarma, je vais visiter l’hôpital où deux sœurs françaises, — nos seules compatriotes dans toute la région, — soignent les malades. Elles sont très émues de voir un ambassadeur de leur pays ; mais j’ai l’imprudence de féliciter l’une d’elles d’habiter une contrée aussi belle : « Comment ! vous venez de France et vous pouvez trouver qu’un autre pays est beau ! »

Mais les automobiles nous attendent et nous emportent sur une bonne route, le long d’une verdoyante rivière. Après quelques kilomètres en terrain plan, nous descendons rapidement et la rivière plus vite que nous : devenue torrent, elle serpente au fond des gorges abruptes, elle rugit dans des chutes écumantes, pendant que notre route la surplombe et se suspend hardiment à flanc de rochers où le passage a dû être souvent ouvert à la dynamite. Il a même fallu pratiquer quelques tunnels. Cette route si hardie et si bien tracée, par un officier péruvien, était destinée uniquement aux caravanes de mulets, d’ânes, de chevaux, de lamas, que nous croisons très nombreuses dès le milieu de la matinée ; elles apportent les produits de la montagne, zone frontière des tropiques ; les fruits, bananes, oranges, palcas (que nous appelons avocats), cocas... et les produits de la canne à sucre, mélasses et surtout rhum ou tafia en petits barils : « Voilà le poison de l’Indien, me dit le préfet qui m’accompagne ; les ravages en sont effrayants. » Je suggère qu’en un terrain si difficile des droits de péage pourraient être établis pour le développement et l’entretien des routes ; ils seraient infimes pour les denrées saines et très lourds sur l’alcool.

Je fais connaissance avec le lama, sorte de dromadaire en réduction, avec les qualités qui rendent si précieux « le vaisseau du désert ; » il est sobre, car il se nourrit des herbes qu’il rencontre ou du pâturage à l’arrivée, marche lentement, mais régulièrement, dans tous les terrains, et ne réclame aucuns soins