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des prix de l’exposition de Poitiers en sont une preuve évidente.

Il a toujours été bon fils et, avec son cousin, s’il l’a fait plus d’une fois enrager, dans les questions sérieuses il lui est toujours demeuré fidèle et attaché.

Malgré tout ce que je viens de dire, je comprends que Votre Majesté hésite et craigne de compromettre l’avenir de sa fille bien aimée. Mais serait-elle plus tranquille en unissant son sort à un membre d’une vieille famille princière ? L’histoire est là pour nous prouver que les princesses sont exposées à une bien triste existence, lors même que leurs mariages ont lieu d’accord avec les convenances et les vieux usages. Pour prouver cette vérité, je n’irai pas chercher des exemples bien loin ; je mettrai sous les yeux de Votre Majesté ce qui s’est passé de nos jours dans le sein de sa propre famille.

L’oncle de Votre Majesté, le roi Victor-Emmanuel, avait quatre filles, modèles de grâce et de vertu. Eh bien ! quel a été le résultat de leurs mariages ? La première, et elle fut la plus heureuse, épousa le duc de Modène et a associé son nom à celui d’un prince universellement détesté [1] . Votre Majesté ne consentirait certes pas à un tel mariage pour sa fille.

La seconde de ses tantes a épousé le duc de Lucques. Je n’ai pas besoin de rappeler le résultat de ce mariage. La duchesse de Lucques fut et est aussi malheureuse qu’on peut l’être dans le monde [2] . La troisième fille de Victor-Emmanuel monta, il est vrai, sur le trône des Césars ; mais ce fut pour s’unir avec un mari impotent et imbécile qui dut en descendre ignominieusement au bout de peu d’années [3] . La quatrième enfin, la charmante et parfaite Christine, épousa le roi de Naples [4] . Votre Majesté connaît certainement les traitements grossiers auxquels elle fut exposée et les chagrins qui la conduisirent au tombeau avec la réputation d’une sainte et d’une martyre. Sous le règne du père de Votre Majesté, une autre princesse de Savoie a été mariée : c’est la princesse Philiberte. Est-elle plus heureuse que les autres ? et est-ce que Votre Majesté voudrait que sa fille eût un même sort ?

  1. Béatrice, épouse de François IV, duc de Modène.
  2. Thérèse, épouse de Charles II de Lucques, puis de Parme.
  3. Anna, jumelle de Thérèse, épouse de Ferdinand Ier empereur d’Autriche.
  4. Christine, épouse de Ferdinand II, roi des Deux Siciles.