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la fonder sur le mensonge et sur l’iniquité. Comment se défendre de penser que ceux qui ont mis leur signature sous la reconnaissance de leurs responsabilités ne s’obstineraient pas à revenir sur leurs aveux et à plaider contre l’évidence leur non-culpabilité, si cet intolérable sophisme ne devait, dans leur pensée, leur permettre d’échapper aux conséquences de leur faute et de se soustraire aux justes réparations qui pèsent sur leurs épaules ? »

Ces paroles définissent dans son acuité le problème des réparations et délimitent le différend qui, à la Conférence de Paris, a opposé la thèse française à la thèse britannique et provoqué cette « rupture amicale » qui apparaît comme le terme fatal, depuis longtemps prévu, d’un malentendu irréductible. Ces divergences ne sont pas nées à la Conférence de Londres, ni à celle de Paris, qui n’en est que la continuation ; depuis que les Alliés, par un commun effort, ont abattu sur terre et sur mer la puissance militaire allemande, deux méthodes se sont dessinées non seulement dans les rapports avec l’Allemagne, mais encore pour tout ce qui touche la reconstruction de l’Europe. La méthode anglaise dérive du fait initial que l’Angleterre est une île, qu’elle n’a jamais connu les horreurs de l’invasion ni les affres d’une insécurité perpétuelle sur des frontières mal fixées et aisément franchissables et qu’elle ne regarde le continent que de loin, comme une maison qu’elle n’habite pas et dans laquelle elle vient seulement vendre et acheter. Il est juste que l’Allemagne paye, mais il est plus important qu’elle redevienne rapidement consommatrice, afin qu’elle achète les produits anglais ; pour qu’elle paye, il faut d’abord qu’elle soit libre, qu’aucune hypothèque économique, aucune occupation militaire ne pèse sur son territoire ; il faut lui faire confiance, car ce n’est pas l’entraînement joyeux de tout un peuple qui a déchaîné la guerre, c’est le complot criminel de quelques souverains ambitieux et de quelques chefs militaires altérés de conquêtes. On reconnaît là l’une des thèses favorites du vieux « libéralisme » anglo-saxon ; c’est lui qui, le 1er août 1914, est sorti, comme d’un rêve, de ses illusions sur l’Allemagne pacifique et idéaliste et qui, le 11 novembre 1918, a commencé d’y retomber.

La France a trop souffert par l’Allemagne pour n’être pas mieux avertie et plus vigilante ; elle n’a jamais douté que l’Allemagne, blessée au plus profond de son orgueil national par la défaite, n’emploierait tous les moyens pour ne pas acquitter une dette de réparations qui est en même temps un aveu de culpabilité et ne mettrait en œuvre toutes les ressources de sa casuistique pour apitoyer