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tire de rien tout un monde idéal. Là, contrairement au vers fameux, le plomb vil en or pur s’est changé. Et de ce changement la musique seule est la merveilleuse ouvrière.

Ce n’est rien, moins que rien, que telle ou telle situation, telles ou telles paroles. Par exemple, quoi de plus insignifiant que le duetto de Papageno et de Pamina ! On sait qui le chante : la captive d’un roi nègre, d’une espèce de Guignol appelé Monostatos, avec un preneur d’oiseaux, lui-même habillé de plumes. Sinon sans aimer, du moins sans s’aimer l’un l’autre, sans même se connaître, tous deux échangent des propos, voire des maximes d’amour, qui n’ont rien de rare. « On se réjouit dans l’amour. Par l’amour seul on vit. L’amour adoucit toute épreuve ; à lui sacrifie toute créature. La fin de l’amour est haute ; rien de plus noble qu’un homme et qu’une femme, rien n’approche aussi près de la divinité. » Quelle pauvre poésie ! Mais quel trésor musical ! Quel sens mystérieux, infini, donnent les notes, — et si peu de notes, — aux mots ! « Rien n’approche aussi près de la divinité. » La musique nous le fait croire, elle nous le fait sentir et sa vertu, oui sa vertu, communique à cet éloge de l’amour quelque chose de divin.

On sait que Taine regardait comme les deux signes de l’art véritable, du grand art, la généralité d’abord, ensuite la bienfaisance du caractère. La Flûte Enchantée, entre tous les chefs-d’œuvre de Mozart, porte l’une et l’autre marque. Qui dira de quelle religion, sous les colonnades et sur les parvis d’un sanctuaire soi-disant égyptien, ces prêtres, ces soldats, sont les ministres et les gardiens ? Mais qui niera que leurs sublimes cantiques respirent l’essence même ou l’idéal du sentiment religieux ? Ecoutez bien, entre autres, le chant des deux hommes d’armes. Écoutez-le gravement, pieusement, comme il convient, y compris les paroles, celles-ci, pour une fois, étant graves elles-mêmes et dignes de la musique. « Celui qui chemine sur la route pleine de misères... s’il peut surmonter la crainte de la mort, s’élèvera de la terre au ciel et parviendra à l’état de lumière. » Les Mystères d’Isis ! Autrefois, on nomma de ce nom, dans notre pays, le chef-d’œuvre, alors défiguré, de Mozart. L’hymne des deux chevaliers nous propose, nous découvre de bien autres mystères : non pas ceux d’une erreur ancienne, mais ceux de l’éternelle vérité. Faut-il d’autres exemples de l’étendue, de l’élévation que donne la musique de Mozart à tout ce qu’elle touche ou que seulement elle effleure ? « Au revoir » disent à Tamino et à Papageno les trois « dames » leurs protectrices. Et comme dans Cosi fan tutte, un adorable quintette donne