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préféré paraître plus petit qu’il n’était, plutôt que de s’enfler jusqu’au monstrueux. Le royaume de l’art est un second monde, mais existant et réel comme le premier et tout ce qui est réel est soumis à la mesure. »

Le critique viennois Hanslick, ayant naguère cité ces maximes, souhaitait qu’elles fussent gravées sur la table de tous les musiciens. Nous souscrivons de grand cœur à ce vœu [1].

Revenons à la Flûte Enchantée. Un autre et non moindre adorateur de Mozart, Gounod, en a dit excellemment : « Cette musique est façonnée par des mains si suaves et si pures, que tous ceux qui la touchent ont l’air de rustres grossiers. Je crois qu’il faut, pour la bien dire, un goût tout à fait supérieur et hors ligne. L’ouvrage n’étant pas une conception dramatique, on ne peut pas là se rejeter sur des effets de passion qui sont toujours plus ou moins à la portée de tout le monde. Ici l’auteur n’a employé que des ressources tellement réservées, tellement placides, d’un ordre tellement en dehors des passions et de la vie réelle, qu’il faut, pour s’y plaire, une très grande habitude, et un très grand amour de l’idéal bien plus que du réel. La seule chose qu’on puisse regretter en entendant la Flûte Enchantée, c’est que le lieu de l’exécution soit un théâtre, la loi du théâtre étant la passion, et par conséquent un développement d’accent et de proportions scéniques que les idées purement contemplatives ne peuvent ni amener ni permettre. »

La représentation que vient de nous donner l’Opéra n’a pas fait éprouver trop vivement ce regret. Parmi les interprètes, il en est une qui possède « un goût tout à fait supérieur et hors ligne. » Sa voix et son chant révèlent également « une très grande habitude » et « un très grand amour de l’idéal. » Que Mme Ritter-Ciampi soit la Comtesse, Fiordiligi, Pamina, c’est merveille de l’ouïr. Et l’on entendit les autres sans déplaisir. On souhaiterait assurément plus de bravoure et d’éclat fulgurant à la Reine de la Nuit. Mais ses deux airs, on le sait, ont de quoi faire peur aux plus intrépides. La dignité ne manque pas à M. Huberty. Sa voix insuffisamment grave descend avec plus de prudence que de majesté, mais descend tout de même jusqu’au dernier les degrés du rôle de Sarastro. Tamino pourrait avoir un peu plus l’air d’un prince. Papageno, l’homme-oiseau, chanteur et comédien, fut très agréable ; aigrelette au contraire, pour ne pas dire acide, sans poésie et sans mystère, la voix des trois « dames. » L’orchestre enfin,

  1. Sur Grillparzer et Mozart, consulter Hanslick, Grillparzer und die Musik dans Musikalische Stationen), et M. Auguste Ehrard, Le Théâtre en Autriche.