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immobilité majestueuse, qui défie les hasards. Il s’est construit son univers ; il rêve et force le monde à s’adapter à son rêve. Cependant, son ancienne maîtresse et son ancien rival viennent le visiter ; il ne résiste pas à un mouvement de vengeance. Il tue l’homme qui l’a supplanté. Désormais, il est condamné à se renfermer pour toujours dans son rôle et à s’ensevelir sous le masque qu’il a choisi : il faudra qu’il joue à jamais la comédie de la folie. On excusera un fou, on ne pardonnerait pas à l’assassin.

Ces pièces inquiétantes, étranges, ont acquis à l’auteur une renommée bruyante. Je doute cependant qu’avec tout leur éclat, l’homme de théâtre, chez M. Luigi Pirandello, égale le conteur. C’est le conteur qui a précédé le dramaturge. C’est encore dans ses contes qu’il faut chercher l’image la plus complète et la plus variée de son admirable talent. C’est là qu’on le trouvera, tantôt amer et tantôt gai, sombre ou bouffon selon les jours, suivant l’état de sa fantaisie et de sa mobile humeur. C’est là qu’on trouvera, sous leur forme la plus drue et la plus jaillissante, son monde, ses types favoris, sa philosophie, ses idées ; et peut-être, après tout ce qu’on a lu de lui, ne se rappelle-t-on rien avec plus de plaisir que certains petits contes tout à fait dénués de thèse et de dialectique, mais où respire simplement la grâce, la nonchalance, la douceur italienne : telle que l’histoire de la pauvresse qui, un soir de chaleur, dans un jardin de Syracuse, sans pain pour elle ni pour son petit, riche de deux sous que vient de lui donner un enfant, prend une chaise et se paie un éventail de deux sous.


LOUIS GILLET.