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de facettes, ou encore dans le choc et le raccourci d’une situation théâtrale. Il excelle naturellement dans le drame et dans la nouvelle. Ses contes font déjà pressentir le dramaturge, qu’il est devenu de plus en plus dans ces dernières années.

Je ne connais de ces drames que les deux ou trois plus récents, seuls imprimés jusqu’à ce jour. J’ai le regret de n’en avoir jamais vu à la scène. On a rapproché quelquefois l’auteur de M. Bernard Shaw. Il me semble voir entre eux de grandes différences. L’auteur de Man and superman est un moraliste, un satirique ; son théâtre ne soulève jamais les problèmes philosophiques qui occupent M. Pirandello. Le seul trait de ressemblance est un goût de gageure et de défi, une certaine désinvolture. La plus curieuse de ces pièces, Six bonshommes qui cherchent un auteur, est une « comédie du poète, » une espèce de manifeste où l’écrivain met en scène la déformation qu’imposent à la réalité les exigences de l’art et de l’optique théâtrale. Les autres sont des drames de la personnalité. Dans Reculer pour mieux sauter (Comè prima, meglio di prima), le portrait de l’héroïne offre une étude de femme comme les aime M. Pirandello : une succession d’états, un mouvement de va-et-vient, une série de retours et de contradictions qui s’expliquent cependant par une grande logique intérieure. La même personne porte successivement trois noms dans chacun des trois actes, selon les situations différentes où la jette son démon : et pourtant, Flora ou Francesca, elle est toujours Fulvia, la femme qui n’est faite ni pour être épouse ni pour être maîtresse, et que satisfait seulement la passion d’être mère . Henri IV est une variante d’Hamlet, traitée à la Pirandello. En dépit du titre, emprunté à l’histoire du grand empereur germanique, il s’agit d’une pièce moderne. Un viveur, dont personne ne nous dit le vrai nom, est tombé de cheval dans une mascarade historique où il portait précisément le costume d’Henri IV ; on croit que son rival, épris de la même femme que lui, déguisée ce jour-là en comtesse Mathilde, avait fait ruer le cheval. L’homme est devenu fou et se croit désormais l’empereur Henri IV. Retiré dans un vieux château à la campagne, il a organisé toutes choses pour favoriser sa lubie : il ne laisse approcher que ceux qui entrent dans son erreur. On le croit fou ; il est guéri. Mais il trouve son compte à se soustraire à la vie, à s’établir dans l’attitude d’un portrait historique, dans une