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doit à l’Allemagne, non pas proprement son humour, qui n’a rien de commun avec l’humour allemand, — et d’ailleurs, quoi de plus personnel que cette disposition d’esprit, si justement appelée l’humeur ? — mais le caractère spécial et la forme de cet humour.

En deux mots, son art est un cas de l’action exercée sur la littérature par la science, ou du moins par certaines idées ou données scientifiques. Sans doute, cela pourrait échapper, parce que M. Pirandello ne le crie pas sur les toits, et que sa manière est tout à fait exempte de pédantisme. Croit-il même sérieusement à la science ? J’en doute. Il se borne à lui emprunter des idées qui lui paraissent propres à exprimer son scepticisme et à ébranler quelques-unes de nos certitudes dans la sécurité de leur conviction. Son ironie se plaît, sans qu’on doive prêter à ces idées la liaison d’un système, à confondre nos illusions et à les mettre en défaut devant quelque accident ou quelque phénomène gênant pour leur solidité. L’appareil scientifique est latent, mais la science demeure à la base du raisonnement. Sainte-Beuve s’écriait vers 1860 dans une phrase célèbre : « Anatomistes et physiologistes, je vous retrouve partout ! » L’œuvre entière de M. Pirandello pourrait se définir une étude sur la théorie du Moi et sur les variations ou sur les maladies de la personnalité. C’est là, si je ne me trompe, ce qui en constitue l’originalité. N’est-il pas singulier que l’on doive recourir, pour donner une idée d’un talent de conteur, à des formules qui pourraient servir de titre à quelque mémoire de Charcot ou de Th. Ribot ?

Nous nous figurons en effet que la personne humaine est quelque chose d’homogène, un tout complet et cohérent. La psychologie traditionnelle, avec ses termes consacrés d’âme, de caractère, non moins que les besoins pratiques de la vie, nous en font une nécessité. Pour M. Pirandello, comme pour une certaine école de psychologues modernes, cette fixité est un mythe, une pure création du langage. Nous sommes dupes des mots. La réalité est tout autre. La réalité, c’est que la personne n’est pas une ; elle est constituée par différents groupes de faits, par une somme d’éléments divers, qui agissent pour leur compte, et nous mènent à. notre insu. Ces vérités nous échappent dans le train ordinaire de l’existence ; elles éclatent en cas de crise, et particulièrement sous l’influence de certaines maladies. La maladie est un réactif qui dissout l’équilibre