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vie, et de l’amertume empoisonnée qu’elle nous vend sous le nom de plaisirs.

Ce ton de plaisanterie triste, qui semble chose si peu italienne, forme le trait spécial de l’humour de M. Pirandello. Beaucoup de ses nouvelles rappellent ce tour d’esprit à la mode il y a trente ans, et que l’on appelait l’esprit rosse. Les situations sont de celles qu’affectaient les auteurs du Théâtre Libre. Un mari, terrassé par une crise cardiaque, surprend l’intérêt de sa femme pour le médecin, son ami ; ruiné, condamné, il oblige cet ami, médecin d’une compagnie d’assurances, à lui signer un certificat de santé, à engager faussement sa parole d’honneur : sa jalousie trouve ce moyen d’empêcher les amants de s’épouser après sa mort. (Formalité.) Martino Lauri est le chef de cabinet du ministre Marco Verona : celui-ci l’a comblé de bienfaits, et l’a réconcilié avec sa femme, Silvia, qui avait quitté le toit conjugal.. Le ménage a une fille, et Son Excellence est le parrain. Le ministre demeure l’intime de la maison. Silvia meurt ; Verona continue de s’intéresser à l’enfant comme un père ; c’est lui qui la marie, qui l’installe chez elle, et peu à peu Martino Lauri se voit éliminé de la combinaison ; le jeune ménage le traite de plus en plus en étranger. Alors seulement le pauvre homme s’aperçoit de la duperie de sa vie et comprend le rôle de paravent qu’on lui a fait jouer. (Tout pour le mieux.) Bartolino Fiorenzo a épousé une veuve, Lina : mais elle ne lui parle que de son premier mari. Tout ce que faisait le défunt, il faut qu’il le fasse à son tour ; il fait le même voyage de noces, dans les mêmes chambres d’hôtel, et tout le temps, il sent que sa femme compare. Bartolino n’est plus que la copie du défunt. Pour échapper à l’obsession, il veut faire une fois un acte de liberté : il décide de tromper sa femme avec une amie de celle-ci, Ortensia Motta. Que voit-il au chevet de sa nouvelle maîtresse ? La photographie du défunt, qui sourit et se moque de lui. (Le défunt.)

Mais ces contes, même excellents, soit tragiques, soit bouffons, ne sont encore qu’à demi du vrai Pirandello. Le caractère de son humour consiste moins dans le tour du récit, ou dans le choix particulier des thèmes ou des modèles, que dans une philosophie qui forme le tissu de ses ouvrages.

On a souvent remarqué qu’il y a chez ce Sicilien quelque chose de l’homme du Nord ; on l’a comparé quelquefois à Hofmann,