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du XIVe siècle, et les commencements de la société polie, et jusqu’aux romanesques et touchantes figures de Carmosine et de Grisélidis. Les Mille et une Nuits, c’est toute la vie du Caire, de Damas, de Bagdad, c’est l’Orient avec ses parfums, son goût du merveilleux, ses femmes, ses pachas, ses vizirs, ses bazars. Il y a un monde de Kipling, de Tchekov, de Maupassant. Il y a un monde original des nouvelles de Verga. En général, c’est une fortune pour le conteur d’appartenir à une province, et de posséder ainsi ce trésor d’observations, ce fonds de traditions, de mœurs particulières qui constituent ce qui s’appelle le cru ou le terroir. Il n’y a presque pas d’exemple d’un romancier digne de ce nom, qui ne soit un campagnard, au moins un provincial : tant le roman est avant tout une manière de voir, et suppose une expérience originale de la vie.

Ce qui frappe, en lisant les contes de M. Pirandello, c’est l’absence de ces éléments auxquels les autres conteurs attachent tant de prix. Toute l’œuvre d’un Verga est aussi fortement enracinée dans son village de Vizzini, que celle d’un Fogazzaro est attachée aux lacs et aux montagnes des environs de Vicence. La peinture des mœurs, au contraire, tient chez M. Pirandello une place insignifiante. Dans les quatre volumes parus de ses Contes pour tous les jours, à peine trouve-t-on, sur soixante récits, quatre ou cinq scènes de mœurs ecclésiastiques ou politiques, que l’on puisse situer dans une petite ville de province ; quelques histoires de paysans, comme le Feu à la paille, le Calvaire, ou la belle histoire de solfatare, — la vendetta du fermier qui, pour se venger d’un voisin, brûle sa terre, la vend à une Compagnie de mines de soufre, comme on se fait sauter avec son ennemi, — sont également localisables quelque part en Sicile. A cela près, rien de plus rare chez M. Pirandello qu’une indication précise. Ses nouvelles se passent ordinairement à Rome, dans un monde mal défini de boutiquiers, de petits rentiers, de fonctionnaires, d’étudiants, dans cette vague classe qui tient au petit commerce et aux professions libérales, espèce de demi-monde qui n’est ni de la bourgeoisie, ni tout à fait du peuple, et où abondent les malchanceux, les abouliques et les ratés. Sa clientèle, puisqu’il se représente quelque part donnant audience un jour par semaine aux personnages de ses nouvelles, évoque le cabinet d’un médecin de quartier pauvre : personnel minable qui fait penser à ce qu’était, il y a une vingtaine d’années, la