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ses contes que nous aurons chance de trouver ses idées de derrière la tête, et la pensée secrète de cet étrange auteur.

M. Pirandello a cinquante-cinq ans ; ses biographes nous apprennent qu’il est né à Girgenti, en 1867. Il est Sicilien comme Verga et comme di Roberto. Du reste, il vit depuis longtemps à Rome, où il enseigne l’histoire de la littérature à l’Ecole normale de jeunes filles. Ses portraits, — j’en connais deux, extrêmement différents, — montrent une figure singulière, et difficile à accorder avec ce que nous imaginons d’une physionomie italienne. Dans quelle mesure, au surplus, a-t-on le droit de croire à la photographie comme à un document ? Rien n’est plus variable que les renseignements qu’elle nous donne. L’une de ces images est un portrait de théâtre, avec la déformation bizarre et le déplacement d’ombres que produit la lumière de la rampe et l’éclairage par en-dessous : une longue figure sarrazine, à l’étrange proéminence du front, une sorte de profil en coup de sabre, avec l’air dédaigneux et les minces accents noirs que produisent dans le masque, au-dessus d’un menton en V, les traits de la bouche et des yeux. C’est la figure de bataille, la figure tranchante du Pirandello des « premières. » L’autre portrait, placé en tête de la nouvelle édition de Il fù Mattia Pascal, montre une figure toute différente : un visage rustique et moussu, abstrait dans une méditation profonde, le vaste front plongé dans la main et, sur tous les traits, la grimace d’une pensée subtile et douloureuse. J’avoue qu’il n’y a rien de commun entre ces deux images. Si elles représentent le même individu, jamais la théorie du fameux humoriste sur les variations, la multiplicité du « moi, » ne saurait rencontrer plus claire illustration.

Depuis le temps qu’il y a des conteurs de nouvelles, le charme de ce genre est de nous présenter en petit le spectacle divers de la Comédie humaine. Ce que Balzac a tenté en grand, le tableau complet des personnages et des vices de la société, Boccace, dès longtemps avant lui, l’avait réalisé dans ses charmantes miniatures. On trouve dans son livre, comme dans la chronique de Froissart, toute la fin du Moyen-âge, ses moines, ses marchands, ses nobles, ses bourgeois, ses clercs, ses vilains, ses artistes, les légendes d’atelier qui couraient sur Giotto, les potins de province, l’Italie aux cent villes, les manants et les princes, toute la gamme des sept péchés capitaux, en costumes