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Ai-je été peut-être un marin
Dont le soleil sur sa corvette
Inondait l’étroite couchette
Par quelque grand soir d’or serein,

Tandis qu’exhalant l’odeur molle
De ses magnolias déclos,
Là-bas, dans le rond des hublots,
S’encadrait quelque lie créole ?...

O vertige ! mais d’où venu
Pour m’émouvoir de sa magie ?
Énigmatique nostalgie !
O mal d’un pays inconnu !


DES CLOCHES AU BRUIT TRISTE...


Des cloches au bruit triste à travers le ciel rose
Sanglotent doucement comme d’un mal divin.
Qu’est-ce, dans ce beau soir où sourit toute chose,
Qu’est-ce que cet appel ? qu’est-ce que ce chagrin ?

On dirait qu’un regret céleste, quelque part,
Laisse tomber ces sons tremblants, comme des larmes.
Qu’est-ce que ce chagrin, et qu’est-ce que ces charmes ?
D’où viennent m’émouvoir ces cloches de hasard ?

Ce n’est pas le hasard qui me fait fondre en pleurs.
C’est surtout dans mon cœur vieillissant qu’elle tinte,
Cette ambiguë et douce et lancinante plainte,
Faite d’un peu d’extase et de tant de douleurs,

Et voilà vingt-cinq ans que j’attendais ces pleurs !


FERNAND GREGH.