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leur mettait sur les bras des bâtiments de mauvaise qualité.

Il semblait que ceux qui refusaient de se lancer dans cette voie se rendissent coupables d’un crime de lèse-patrie. Comment eussent-ils résisté à des suggestions qui étaient presque des ordres ? C’était l’époque des grands rêves économiques. Le monde était dans cette croyance qu’une fièvre d’activité mondiale devait succéder aux horreurs de la guerre. Aussi fallait-il coûte que coûte planter le pavillon français sur de nouveaux navires, afin de n’être point accusé de malthusianisme industriel. Les événements ont bien déçu nos espérances.

La reconstitution de notre tonnage fut même dans certains cas le résultat d’une obligation légale. C’est ainsi que le régime des assurances obligatoires a imposé aux sinistrés le remploi des indemnités d’assurance en achat de tonnage nouveau. Il en fut de même pour les bénéfices de guerre. Quant à la réquisition générale, elle assura elle-même le remplacement des navires perdus sans laisser à l’ancien propriétaire la faculté de se faire rembourser en espèces. Ces mesures eurent leur bon côté, car elles activèrent le développement de notre marine marchande ; mais elles conduisirent, malheureusement, à cette surévaluation du tonnage dont nous souffrons aujourd’hui. M. de Rouziers, dans son rapport à la Commission extra-parlementaire de la marine marchande, a cru pouvoir chiffrer de la façon suivante l’extra-coût du tonnage français. Il resterait 1 500 000 tonneaux inventoriés à 990 francs le tonneau de jauge brute, alors que le cours moyen actuel du tonnage serait de 500 francs, ce qui donnerait une différence totale de 735 millions. Il faudrait ajouter une surcapitalisation de 300 millions pour les navires récemment livrés ou en cours de livraison ; l’extra-coût de notre flotte serait en définitive de l’ordre de un milliard. Les charges qu’entraîne cette surévaluation sont difficiles à apprécier. En tenant compte des assurances, il semble bien qu’elles représentent une prime annuelle de 200 millions. Il est bon toutefois de faire remarquer que ces surcharges portent inégalement sur les compagnies de navigation. Les grandes firmes d’armement grâce à leurs réserves ont pu pratiquer de plus sérieux amortissements que les autres et leurs inventaires offrent les meilleures garanties d’évaluation.

Ces surcharges d’exploitation ne sont point les seules. Nombreuses sont celles qui proviennent du fait que les navires