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Lorsqu’on veut un emploi éminent, et des voix pour y parvenir, il faut être marié ; c’est un préjugé auquel il faut obéir ; préjugé salutaire, car le célibataire voit d’un œil sec le bouleversement de l’Etat, et le père de famille offre plus de garanties. Puis une femme veillerait à vos intérêts, et vous dispenserait de ce soin ; c’est vous dire le choix qu’il vous faudrait faire. — Vous semblez me reprocher mon opinion de la femme qui vous couve ; mais, Honoré, elle vous a attiré, et vous n’êtes pas heureux. Je ne conçois pas cela, ni en morale, ni en amour. — J’aurais conçu toutes les monstruosités d’une imagination d’artiste, et au contraire de ce que vous dites, j’accepte toujours un événement et une faculté avec leurs conséquences ; j’étends cela jusqu’à mes gens. Mais des écarts dorés, par trop aristocratiques, c’est trop pour moi. J’ai peu vécu, et m’en félicite.

L’autre jour, dame Rose [1] est venue, tout à fait hors de propos, me présenter une apologie de sa conduite avec vous pendant les premiers temps de votre séjour ici. On parle de vous avec le regret enthousiaste que l’on a pour le passé. En face, l’on soupire, et l’on change de figure...

Venez ici quand vous le voudrez, et vous y serez accueilli par tous ; par nous, je n’en parle pas.

J’ai vu Mme Larréguy [2], qui parle de vous avec beaucoup d’intérêt.

Adieu. Auguste revient dans huit jours.


Le séjour de Balzac en Savoie touchait à sa fin. Le 10 octobre, nous le trouvons à Genève écrivant à Mme Carraud :


Mon Dieu ! me voilà derechef assailli de chagrins plus amers que ceux dont j’ai subi l’action ! Il faut renoncer à mon voyage d’Italie. Ma mère [3] quitte ma maison, ne veut plus se charger de mes affaires, et, comme je n’ai absolument personne que j’aie le droit d’ennuyer, dont le temps puisse m’être acquis en entier, il faut que je reste en France le temps d’arranger tous mes intérêts. Je ne veux pas aller à Paris. J’y serais à tout moment dérangé. Je veux même rester bien inconnu à quelque modeste distance pour éviter les railleries de gens qui sont décidés à se

  1. Mme Grand-Besançon.
  2. Dont le mari était préfet de la Charente.
  3. Mme de Balzac mère avait tenu le ménage et les comptes de la rue Cussini pendant l’absence de son fils ; ce n’était pas une sinécure.