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par les conversations et les réceptions officielles, il ne put s’empêcher d’amener avec lui Catherine-Michaïlowna.

Il arriva le 10 mai à Berlin, accompagné du prince Gortchakof et descendit au palais de son ambassade, Unter den Linden ; la princesse Dolgorouky, arrivée le même jour, s’installa dans un hôtel voisin.

Aussitôt reçu par l’empereur Guillaume, le Tsar lui déclara, sans détour, qu’il ne laisserait pas attaquer la France. Le vieux Kaiser, placide et souriant, affirma qu’il n’y pensait pas ; mais il fit, en termes rudes, le procès du Gouvernement et du peuple français : il s’en remettait d’ailleurs à son chancelier pour éclairer pleinement Alexandre sur les griefs de l’Allemagne envers la France.

Le surlendemain, Bismarck eut audience à l’ambassade de Russie, dans un des vastes salons du premier étage. L’entretien fut long, sérieux et décisif.

Dès qu’il eut congédié son visiteur, Alexandre passa dans son appartement privé. Fidèle à ses habitudes d’extrême simplicité, il avait refusé d’occuper les chambres d’apparat situées sur la façade et il s’était logé dans une petite pièce mal meublée, qui prenait jour sur la cour intérieure.

La princesse Dolgorouky l’attendait là. Il lui raconta immédiatement l’entretien qu’il venait d’avoir :

— Bismarck a repris devant moi les explications embarrassées qu’il a servies hier à Gortchakof. Je lui ai laissé tout dire ; mais je l’ai averti catégoriquement que jamais, sous aucun prétexte, je ne laisserais attaquer la France. « Sans ma neutralité, lui ai-je dit, l’Allemagne serait impuissante. Or, sachez-le bien : je ne resterais pas neutre... » Alors, il a voulu me démontrer que la France devient un danger pour le peuple allemand, car elle se relève beaucoup trop vite, et qu’il faut se dépêcher de la remettre à la raison avant qu’elle n’ait refait toute sa puissance militaire. Il a été jusqu’à me dire : « Aujourd’hui, rien ne nous serait plus facile que d’entrer à Paris ; bientôt, nous ne le pourrions plus. » Là-dessus, je l’ai arrêté, en lui répétant, du ton le plus ferme, que je ne laisserais jamais attaquer la France. Il m’a tout de suite juré ses grands dieux que, personnellement, il n’avait aucune intention belliqueuse... Tu vois que j’ai bien fait de lui parler net.

Aussi, le soir même, pendant un bal de cour, Alexandre II