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il montrait l’Empereur absolument dominé par elle, ne voyant plus que par elle et capable désormais des pires folies pour lui témoigner son amour ; il alla jusqu’à dire :

— Mais je la briserai, cette gamine !

Le propos fut dénoncé, le lendemain, au général Ryléïew, qui s’empressa de le répéter à son maître.

Alexandre II n’en fit aucune remontrance à Schouvalow ; mais il se résolut intérieurement à le tenir désormais éloigné de sa personne et, par conséquent, à lui retirer la direction de la Chancellerie secrète.

Peu après, au début de juin 1874, comme le Tsar prenait les eaux d’Ems, le chef de la Troisième section vint lui faire son rapport habituel. L’Empereur l’accueillit cordialement par ces mots :

— Je te félicite, Pierre-Andréïéwitch.

— Puis-je savoir, Sire, ce qui me vaut les félicitations de Votre Majesté ?

— Je viens de te nommer mon ambassadeur à Londres.

D’une voix qui s’étranglait un peu, Schouvalow se confondit en remerciements.

Pour lui succéder à la direction de la police occulte, l’Empereur désigna, non plus un personnage de haut rang comme Pierre-Andréïéwitch et ses prédécesseurs Benckendorff, Dolgorouky, Orlow, mais un modeste officier, qui ne serait en toute circonstance qu’un aveugle instrument de la volonté souveraine, le général Polapow.


Cependant Alexandre II se préoccupait du sort réservé à ses enfants adultérins. Pour ne pas découvrir le secret de leur naissance, il avait ordonné qu’on les baptisât clandestinement. Et même, par surcroît de précaution, il avait déchiré de ses propres mains leur acte de baptême.

Mais, à la réflexion, il avait aperçu tous les tracas, toutes les gênes humiliantes qui, plus tard, poursuivraient fatalement ces deux enfants de sa chair et de son âme, s’il les engageait dans la vie sans le moindre état civil.

Pour leur créer un statut légal, les lois organiques de l’Empire lui conféraient les moyens nécessaires. Elles proclamaient, en effet, dans l’article premier : « L’Empereur de toutes les