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Avant même qu’il eût procédé à aucun examen, le Tsar lui dit, sur le ton où il donnait ses ordres :

— S’il le faut, sacrifiez l’enfant ; mais, elle, à tout prix, sauvez-la !

Longue fut la crise finale. A neuf heures et demie du matin, Catherine mit au monde un fils.

L’Empereur fut obligé de la quitter en hâte. C’était dimanche : toute la Cour l’attendait pour la messe. L’enfant, qui était vigoureux et beau, reçut au baptême le nom de George. On le transporta, le jour même, dans une maison discrète du Mochkow Péréoulok, où demeurait le général Ryléïew, chef de la Sûreté personnelle de l’Empereur. Resserrés entre le canal de la Moïka et les longs murs des écuries impériales, ces parages étaient peu fréquentés. En outre, la fonction du général Ryléïew justifiait la présence continue des gendarmes qui empêchaient tout stationnement aux abords de la maison. Le nouveau-né fut confié aux soins d’une nourrice russe et d’une gouvernante française.


Si clandestin qu’eût été l’accouchement, le bruit s’en était bientôt répandu.

L’ambassadeur d’Allemagne, prince de Reuss, qui entretenait autour du Tsar un excellent service d’espionnage, fut instruit le premier ; c’est même par lui que la princesse Michel Dolgorouky, la belle-sœur de Catherine, apprit l’événement qui, malgré ce qu’elle savait mieux que personne depuis si longtemps, la stupéfia.

Dans la famille impériale et surtout dans l’entourage du Césaréwitch, on était consterné. Les frères préférés de l’Empereur, les grands-ducs Constantin et Nicolas, sa vieille et chère cousine la grande-duchesse Hélène-Pavlowna n’étaient pas les moins affligés. A leur tristesse irritée se mêlaient toutes les craintes que pouvait faire concevoir, pour l’avenir, l’intrusion de ce bâtard dans la lignée des Romanow.

Quant à l’impératrice Marie, qui n’avait pas été la dernière informée, elle ne laissait rien voir de ses pensées intimes. Taciturne, froide et guindée, elle tenait les curiosités à distance. Mais, depuis cette époque, le mal caché, qui la rendait si débile sous son air majestueux, fit des progrès rapides.