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le Tsar, c’cst presque toujours auprès de sa maîtresse qu’il découvrait la solution et qu’il sentait sa volonté se fixer. Par cela seul qu’il n’avait plus à surveiller ses paroles, il voyait plus clair en lui.


Il voulut qu’elle l’accompagnât désormais dans tous ses voyages, particulièrement à Ems, où il allait prendre les eaux chaque année.

L’Empereur et sa suite occupaient l’Hôtel des Quatre Tours ; la princesse Dolgorouky et son amie, Mme S..., s’installaient dans une villa du voisinage, le Petit Élysée.

Au mois de juin de 1870, cette villa connut des secrets que le Gouvernement français eût payés cher.

Catherine-Michaïlowna reçut la confidence immédiate des graves entretiens qui se poursuivirent alors, pendant quatre jours, entre Alexandre II, Guillaume Ier, le prince Gortchakof et le comte de Bismarck. Son ami lui expliqua tout l’échiquier européen, la politique aventureuse de la France, l’attitude suspecte de l’Autriche, l’imminence d’un conflit et, par suite, l’obligation où se trouvait la Russie de renouer son alliance traditionnelle avec la Prusse,... après s’être fait assurer quelques profits en Orient.

Un mois plus tard, quand la candidature Hohenzollern mit le feu aux poudres, Alexandre dit à Catherine :

— Tu vois comme j’avais raison !... Dans cette affaire, la France a tous les torts.

Son opinion se modifia un peu, après Sedan. Le brusque effondrement du régime napoléonien, la marche victorieuse des armées allemandes sur Paris, l’exaltation folle du nationalisme germanique, l’accroissement imprévu et démesuré de la puissance prussienne lui donnèrent à réfléchir. Il n’en gardait pas moins toutes ses sympathies de cœur à son oncle Guillaume et les lui témoignait publiquement. D’ailleurs, il se considérait comme irrévocablement lié à la Prusse par l’accord d’Ems.

Le 29 septembre, il reçut la visite de Thiers, qui venait l’adjurer de se mettre à la tête des Puissances neutres pour refréner les convoitises de l’Allemagne et la contraindre à respecter l’équilibre européen.

On a prétendu que, dans l’émotion de son patriotisme, Thiers