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signe qu’elle ne pouvait parler et regagna précipitamment sa voiture sans avoir dit un mot.

Les jours suivants, il y eut encore des bals, des fêtes, une excursion à Fontainebleau. Mais le charme était rompu. De crainte d’un nouvel accident, on avait hâte de voir Alexandre II quitter la France.

Avec son affable courtoisie de grand seigneur, il continuait d’exprimer une vive satisfaction pour les égards et les plaisirs dont il était comblé. Mais, plusieurs fois, on remarqua son air distrait, sa physionomie tendue, l’étrange éclat de son regard lointain.

La police française était sans doute renseignée sur cette contention de son esprit.

Après six mois d’exil, Catherine-Michaïlowna était venue le rejoindre à Paris.

Elle logeait dans un hôtel discret de la rue Basse-du-Rempart. Chaque jour, chaque soir, elle se rendait à l’Élysée, où elle pénétrait par la grille qui est à l’angle de l’avenue Gabriel et de l’avenue Marigny.

Tout le temps qu’il pouvait soustraire aux festivités officielles, il le lui consacrait. Là encore, sous les beaux ombrages où Mme de Pompadour se plut à errer jadis, où Napoléon Ier, arrivant tout droit de Waterloo, mesura l’immensité de son désastre et l’horreur des jours qui lui restaient à vivre, Catherine-Michaïlowna s’entendit répéter les paroles solennelles de Babygone : « A la première possibilité, je t’épouserai ; car je te considère, dès maintenant et pour toujours, comme ma femme devant Dieu. »

Elle eut aussi l’orgueilleuse douceur de lui entendre dire ; « Depuis que j’ai commencé à t’aimer, aucune autre femme n’a plus existé pour moi... Pendant toute l’année où tu m’as si cruellement repoussé comme pendant tout le temps que tu viens de passer à Naples, je n’ai désiré aucune autre femme. »


Leur liaison prit dès lors un caractère définitif.

A Saint-Pétersbourg, Catherine-Michaïlowna revint demeurer chez sa belle-sœur, mais cette fois dans un joli hôtel du Quai Anglais, où elle occupait le rez-de-chaussée, ayant ses domestiques et ses équipages personnels. Cette combinaison permettait