Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 13.djvu/299

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le lendemain, il allait aux courses, puis il dînait aux Tuileries. Le 3 juin, repos. Le 4, représentation de gala à l’Opéra. Le 5, visite à la Sainte-Chapelle, où un groupe d’avocats eut l’ingénieuse idée de lui lancer en pleine figure : « Vive la Pologne, monsieur ! » Le jeudi 6, grande revue militaire à Longchamp ; le roi de Prusse y assistait également. C’est au retour, devant la Cascade, qu’un réfugié polonais, Bérézowski, tira deux coups de revolver sur le Tsar qui occupait la même voiture que Napoléon III. Les souverains opposèrent un calme parfait au geste de ce furieux, qui d’ailleurs ne les atteignit pas.

L’année précédente, à Saint-Pétersbourg, Alexandre II avait essuyé aussi tranquillement le feu de l’anarchiste Karakosow. Cet imperturbable courage, dont il devait plus tard donner tant de preuves, ne lui imposait aucun effort, étant fait à la fois de vaillance naturelle, de fatalisme et de piété. Il fut donc fort surpris lorsqu’on lui annonça, dès son retour à l’Elysée, la visite de l’impératrice Eugénie.

La pauvre souveraine avait les mains tremblantes, la figure défaite. Les mauvais jours étaient venus pour l’Empire français. Le brillant décor de l’Exposition universelle ne faisait illusion à personne. Au dehors comme au dedans, l’édifice impérial craquait de toutes parts. En ce mois de juin 1867, les nouvelles qu’on recevait du Mexique ne laissaient plus aucun doute sur la catastrophe prochaine. L’empereur Maximilien était déjà bloqué dans Quérétaro ; avant peu de jours, on apprendrait son exécution. Du côté de l’Allemagne, les inquiétudes n’étaient pas moindres. Aussi Napoléon III avait-il attaché une particulière importance à la visite du Tsar ; il espérait séduire son hôte, apaiser en de confiantes causeries les ressentiments que notre politique envers la Pologne lui laissait au cœur, enfin le gagner à notre cause pour arrêter les progrès de l’influence prussienne en Europe. Et voilà que cette visite, commencée par le scandale injurieux de la Sainte-Chapelle, aboutissait à l’affront d’un régicide. L’impératrice Eugénie avait de quoi être émue. Elle eut cependant le tort, ainsi qu’il lui advenait trop souvent, d’obéir au premier mouvement de sa nature impulsive. Dès qu’elle fut en présence du Tsar, elle s’effondra dans une crise de nerfs. Les grands-ducs Alexandre et Wladimir la portèrent sur un canapé ; l’Empereur appela au secours, mais soudain elle se redressa, expliqua d’un