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jambes et se terminait à de minces bottines. Les cheveux de l’Empereur sont coupés ras et dégagent son front uni, plein et bien formé. Ses traits, d’une régularité parfaite, semblent modelés pour le bronze de la médaille ; le bleu des yeux prend une valeur particulière des tons bruns de la figure, moins blanche que le front à cause des voyages et des exercices en plein air. Les contours de la bouche ont une netteté découpé et d’arête tout à fait grecque et sculpturale. L’expression de la physionomie est une fermeté majestueuse et douce, qu’éclaire par moments un sourire plein de grâce. »

Comment Catherine-Michaïlowna n’eût-elle pas été conquise par cette grâce et cette majesté souveraines qui s’agenouillaient devant elle ?

Pourtant, lorsqu’elle avait accepté de se rendre à Babygone, elle n’avait cédé ni à un entraînement de l’imagination, ni à une griserie de l’orgueil : elle n’avait obéi qu’à son cœur. Ce n’est pas au Tsar qu’elle s’était donnée ; c’est à l’homme.

Et son instinct de femme ne l’avait pas trompée ; car, chez Alexandre-Nicolaïéwitch, l’homme privé, l’homme intime était d’une qualité rare. Noblesse du caractère, générosité des sentiments, courage tranquille, maîtrise de soi, élégance des manières, culture de l’esprit, raffinement des goûts, tact, urbanité, — il était grand seigneur jusqu’au bout des ongles. De plus, il avait la parole vive, aisée, attachante, pleine d’humour et d’enjouement.

Aussi, du jour où Catherine eut consenti à se laisser aimer, elle l’adora.

Mais pourquoi lui-même s’était-il attaché d’un sentiment si rapide, si passionné, si absolu, à cette vierge de dix-sept ans ? Et par quel affolement du cœur ou des sens avait-il été jusqu’à lui dire, la première fois qu’il l’avait tenue dans ses bras : « Aujourd’hui, hélas ! je ne suis pas libre ; mais à la première possibilité, je t’épouserai, car je te considère, dès maintenant et pour toujours, comme ma femme devant Dieu. »


Il avait toujours éprouvé pour les femmes un irrésistible attrait.

Dès l’âge de vingt ans, il avait connu l’illusion délicieuse et le tourment divin.