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son rêve despotique, encadraient maintenant des scènes de tendresse et de volupté.

La liaison fut bientôt connue. On n’en jasait pourtant qu’a mots couverts dans les salons de Saint-Pétersbourg, la personne du Tsar étant sacrée en ce temps-là. D’ailleurs, la terrible Troisième section de la Chancellerie secrète, commandée par le comte Schouvalow, avait des oreilles partout, et ce n’eût pas été sans péril qu’on se fût risqué à bavarder sur la vie intime du souverain.

La belle-sœur de Catherine-Michaïlowna, l’épouse de son frère aîné, apprit néanmoins que, dans les chuchotements de la Cour, on la mettait en cause : on l’accusait d’avoir livré la jeune fille à l’Empereur et de favoriser leurs amours.

Indignée pour elle-même, effrayée pour l’avenir de Catherine, elle prit brusquement le parti de s’exiler avec elle à Naples, où demeurait sa famille.

Quelques mois plus tôt, le remède aurait pu être salutaire : il n’eut d’autre effet que d’exalter la passion des deux amants, qui s’écrivaient chaque jour.


II

A première vue, un amour si fort, entre deux êtres si différents d’âge et de condition, a lieu de surprendre.

Le jour où Catherine fut amenée à Babygone, elle n’avait que dix-sept ans et demi, Alexandre en avait plus de quarante-sept. Il devait donc lui sembler très mûr ; il aurait pu être son père.

Assurément, il se revêtait, à ses yeux, d’un prestige extraordinaire et transcendant. N’était-il pas l’Empereur, le Tsar autocrate de toutes les Russies, l’Oint du Seigneur, le maître absolu et redouté du plus grand peuple qui fût au monde ? A le voir si majestueux dans la pompe des cérémonies et des cortèges, comment n’eût-elle pas été fascinée ?

Jamais la Cour de Russie n’avait brillé d’un plus vif éclat. Outre les souverains qui avaient une si noble apparence, toute la famille impériale était superbe à regarder. On vit rarement se grouper autour d’un trône un plus bel ensemble de types virils ou féminins, tels que le césaréwitch Alexandre, le grand-duc Wladimir, le grand-duc Constantin, le grand-duc Nicolas, le