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A leur rencontre suivante, dès qu’elle l’aperçut, dès que leurs regards se croisèrent, elle tressaillit, avec la sensation d’un choc dans la poitrine. Ce fut, en elle, comme un coup de la grâce, une illumination éblouissante, le don subit et total de son âme.


On était au mois de juillet 1865. Selon l’habitude, la Cour résidait au palais de Péterhof, la magnifique demeure que Pierre le Grand se construisit au bord du golfe de Finlande, avec le secret désir d’éclipser Versailles.

A l’extrémité du parc, près de la route qui mène à Tsarskoïé-Sélo, s’élève un haut pavillon à colonnade, sorte de belvédère, que Nicolas Ier fit bâtir en 1853 pour sa femme, l’impératrice Alexandra, et qui porte le nom de Babygone. Solitaire, entouré de verdure et de fleurs, le site domine un horizon merveilleux par-dessus la nappe ondoyante et moirée des eaux finlandaises.

C’est là que, le 13 juillet, vers la fin de l’après-midi, Catherine-Michaïlowna fut amenée, tremblante, à l’empereur Alexandre II, qui tremblait encore plus.

L’événement dépassa tout ce que la jeune fille avait pu s’imaginer ; car, en la couvrant une dernière fois de baisers avant de la laisser partir, son impérial amant lui avait déclaré, du ton le plus solennel :

— Aujourd’hui, hélas ! je ne suis pas libre ; mais, à la première possibilité, je t’épouserai ; car je te considère, dès maintenant et pour toujours, comme ma femme devant Dieu.. A demain !... Je te bénis !

Le pavillon de Babygone la revit très souvent

Quand le ciel brumeux et les pluies glacées de septembre ramenèrent la Cour dans la capitale, les relations de la jeune princesse et de son auguste ami s’établirent avec régularité.

Trois ou quatre fois la semaine, elle venait clandestinement au Palais d’hiver. Par une porte basse dont elle avait la clef, elle s’introduisait au rez-de-chaussée dans une chambre isolée, prenant jour à l’Ouest sur l’esplanade, et qui se reliait par un escalier secret aux appartements impériaux du premier étage. C’est de là que, trente années durant, Nicolas Ier avait dirigé son Empire. Les meubles, les portraits, les tableaux, les livres, tous les objets, parmi lesquels l’implacable autocrate avait poursuivi