Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 13.djvu/290

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Catherine, ayant achevé ses études, sortit de Smolny. Réduite à une modique pension, elle alla vivre chez son frère ainé, le prince Michel, qui avait épousé une charmante Napolitaine, la marquise Louise Vulcano de Cercemaggiore. Il habitait durant l’hiver un appartement à la Bassennaÿa, et, durant la belle saison, une villa très simple à Péterhof.

Un jour de printemps, Catherine, suivie d’une femme de chambre, traversait le Jardin d’été qui avait encore son tapis de neige, quand elle vit l’Empereur qui faisait sa promenade quotidienne avec un aide de camp. Il s’approcha d’elle et, sans égard aux passants qui les observaient, il l’entraina dans une allée tranquille.

Alors, à cette vierge toute novice et ingénue, il adressa des propos si cajoleurs et si tendres, qu’elle en fut bouleversée. Elle aurait voulu le supplier de se taire ; mais les mots qu’elle cherchait ne venaient pas ou lui restaient dans la gorge.

Ils se rencontrèrent de la sorte assez fréquemment, soit au Jardin d’été, soit aux Iles de la Néwa dans les allées sinueuses d’Iélaghine, soit encore, à partir de juillet, sons les futaies séculaires qui entourent Péterhof.. En vain lui déclarait-il chaque fois son amour, son grand amour tenace et lancinant : elle restait froide, hostile et fermée.

Puis, durant quelques mois, elle réussit à l’éviter ; mais il la relançait toujours.

Plus tard, quand elle eut accompli son destin, elle se rappelait avec stupeur cette époque de sa vie et elle disait à Mme S..., sa fidèle amie :

— Comment ai-je pu lui résister ainsi pendant toute une année ?... Comment ne l’ai-je pas aimé plus tôt ?

Sa conversion se fit en deux étapes. Un jour, Alexandre lui apparut si malheureux, le visage si contracté, la voix si implorante, qu’elle eut pitié de sa souffrance. D’ailleurs, il sortait d’une épreuve cruelle, qui l’avait frappé aux racines mêmes de son être : il venait de perdre son fils préféré, le césaréwitch Nicolas, mort à vingt ans d’une lésion tuberculeuse. Ce jour-là, pour le plaindre, elle trouva des paroles très simples, mais abondantes et douces, qui furent un baume sur les plaies vives de son cœur. Et, lorsqu’il l’eut quittée, elle s’en voulut de n’avoir pas trouvé mieux à lui dire. Pour la première fois depuis qu’elle le connaissait, elle fut impatiente de le revoir.