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— Je suis Catherine-Michaïlowna et je voulais voir l’Empereur.

Très amusé, il la prit sur ses genoux, causa quelques instants avec elle, puis la fit ramener vers ses parents.

A la revoir le lendemain, il fut séduit par sa grâce ingénue, par ses jolies manières, par ses grands yeux de gazelle effarée De son air le plus aimable, comme s’il parlait à une belle dame de sa cour, il la pria de lui faire les honneurs du jardin. Ils se promenèrent longuement. Elle exultait. Dans sa mémoire enfantine ce souvenir se grava pour toujours.

Deux ans plus tard, il eut à s’occuper d’elle.

Le prince Michel Dolgorouky, entraîné par ses goûts fastueux, incapable de résister à ses caprices, compromis dans des spéculations folles, avait dissipé toute sa fortune. Et les soucis avaient précipité en lui l’évolution d’un mal nerveux, dont il allait bientôt mourir. Afin de protéger la famille contre l’âpreté des créanciers, le Tsar fit placer le domaine de Tiéplowka « sous la tutelle impériale » et prit à sa charge l’éducation des enfants, qui étaient au nombre de six, quatre fils et deux filles.

Catherine-Michaïlowna et sa sœur cadette Marie entrèrent comme pupilles à l’Institut de Smolny. Fondé par Catherine II, en imitation du Saint-Cyr de Mme de Maintenon, « l’Institut des demoiselles nobles » déploie sa belle ordonnance architecturale sur le bord de la Néwa, au point où le fleuve, par un brusque détour, s’engage dans le décor glorieux qu’a chanté Pouchkine. De tout temps, les monarques russes, empereurs et impératrices, prodiguèrent à ce pensionnat les témoignages de leur sollicitude : ils y voyaient comme un devoir familial. Ils s’intéressaient personnellement aux élèves, à leurs travaux, à leurs jeux. Souvent, ils allaient prendre le thé au milieu d’elles.

Dans cette aristocratique maison, les jeunes princesses Dolgorouky se firent promptement remarquer par leur beauté. Aussi élégantes de lignes, aussi pures de visage l’une que l’autre, elles réalisaient pourtant des types différents. Catherine avait un teint d’ivoire avec de magnifiques cheveux châtains ; la cadette, Marie, d’une carnation éblouissante, annonçait une blonde superbe. Alexandre II s’attardait volontiers à causer avec elles Bientôt, on crut s’apercevoir qu’il accordait à la première une préférence exclusive.

Comme elle venait d’entrer dans sa dix-septième année,