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J’allai directement à l’ambassade, où je m’acquittai de mon message auprès du général Chanzy. Le soir, dînant à sa table, je fis la connaissance de ses principaux collaborateurs, son aide de camp le lieutenant-colonel de Boisdeffre, son conseiller M. Ternaux-Compans et le plus brillant de ses secrétaires, qui s’était déjà fait un nom dans les lettres, Eugène-Melchior de Vogüé. Leur conversation vive, naturelle, abondante, que le général accentuait par instants d’un mot juste et précis, me découvrait mille aperçus nouveaux sur le monde russe où je pénétrais pour la première fois. Je ne pouvais souhaiter une meilleure préparation à la cérémonie grandiose, dont j’allais être spectateur le lendemain : les funérailles du Tsar.

Dès neuf heures du matin, nous étions tous groupés autour de l’ambassadeur, tous en uniforme diplomatique ou militaire.

Le temps était froid, le ciel sans nuage. Entre ses longs quais de granit, la Néwa déroulait avec ampleur son manteau de neige et de glace. Quand nous sortîmes de l’ambassade, un rayon de soleil allumait la flèche d’or qui surmonte la forteresse des Saints-Pierre-et-Paul, attirant ainsi tous les regards vers la coupole de la cathédrale et les bastions de la prison d’Etat.

Soudain, trois coups de canon partent de la citadelle, qui arbore un pavillon noir, aux armes impériales. Dans toute la ville, les cloches sonnent. Le cortège funèbre apparaît sur le quai de l’Amirauté.

En tête, un escadron de chevaliers-gardes.

Puis viennent à la file, portés par des maîtres des cérémonies, tous les insignes souverains de l’Autocrate défunt, les couronnes, les sceptres, les globes, les étendards, les glaives de Moscou, de Kiew, de Wladimir, de Nowgorod, de Smolensk, de Kazan, de Sibérie, d’Astrakhan, de Volhynie, de Chersonèse, de Pologne, de Livonie, d’Esthonie, de Courlande, de Carélie, de Finlande, de Géorgie, etc... Devant chaque étendard, deux écuyers mènent par la bride un cheval d’armes, couvert d’un caparaçon noir où se détache l’écusson de la province.

Une couronne isolée vient ensuite, rayonnante de diamants, de rubis et de topazes. Très haute et très lourde, le vieux prince Souvorow la porte avec peine sur un coussin d’or : c’est la couronne impériale de Russie.

Toute l’œuvre historique des monarques russes, depuis Saint-Wladimir et les premiers ducs de Moscou jusqu’aux derniers