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du Président de la République ni même du ministre des Affaires étrangères.

La disparition d’Alexandre II posait, devant l’Europe, des problèmes troublants. Qu’allait-il se passer en Russie ? L’attentat du 13 mars préludait-il à un bouleversement général ? Entre les forces conservatrices et les forces subversives, qui l’emporterait ? Dans le cas probable d’une réaction violente, l’absolutisme tsariste ne serait-il pas obligé de s’inféoder aux Puissances germaniques ? Ne risquions-nous pas de voir renouveler contre la France le pacte monarchique de 1873, la fameuse alliance des trois empereurs ?... A toutes ces questions, Barthélemy Saint-Hilaire éprouvait le besoin d’obtenir une prompte réponse. Il en écrivit personnellement à notre ambassadeur, le général Chanzy, pour lequel il professait une haute estime, et je fus chargé de porter la lettre, en y joignant quelques précisions verbales.

Le soir du mardi 15 mars, je pris le train pour Saint-Pétersbourg.

Dès mon arrivée à la gare du Nord, j’eus comme une prévision du spectacle que j’allais trouver sur les bords de la Néwa. Dans le hall du départ, une affiche annonçait que toutes les frontières russes étaient fermées jusqu’à nouvel ordre et que les voyageurs à destination de la Russie ne pourraient dépasser Berlin. Mais le passeport diplomatique dont j’étais muni m’assurait la possibilité de poursuivre ma route jusqu’à Saint-Pétersbourg.

L’express était donc presque vide, — une vingtaine de personnes en tout, dont le grand-duc Nicolas-Nicolaïéwitch, frère de l’Empereur et ancien généralissime des armées russes pendant la guerre des Balkans, ses fils Nicolas et Pierre qui arrivaient de Cannes, enfin plusieurs aides de camp et de nombreux domestiques.

A Berlin, où nous arrivâmes le lendemain vers huit heures du soir, il y eut un long arrêt, pendant lequel les Altesses Impériales furent saluées par le personnel de l’ambassade de Russie en grand deuil et par un aide de camp général du vieil empereur Guillaume.

Avant que le train ne repartit, chaque voiture fut soumise à une sévère inspection de police. En dehors des grands-ducs, de leur suite et d’un courrier anglais, je fus seul autorisé à continuer le voyage