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seconde explosion lui brisa les jambes. Placé sur un traîneau, il fut ramené au Palais, où il expira une heure après. J’ai pu le voir sur son lit de mort, entouré de sa famille consternée.

La population tout entière est autour du Palais, donnant les marques de la plus vive douleur, au milieu du calme le plus profond.

Toute l’escorte a été atteinte : un cosaque tué, cinq blessés. On parle d’autres victimes. Quatre arrestations ont été faites, au moment de l’explosion et sur le lieu même.

Général CHANZY.


Quelques heures plus tard, on apprit toutes les circonstances de l’attentat.

L’émotion fut assez vive dans le public français ; la presse exprima, comme il convenait, l’horreur qu’un forfait aussi abominable devait inspirer aux honnêtes gens. Mais rien de plus.

A cette époque, les relations de la France et de la Russie manquaient de cordialité. On y gardait un amer souvenir de la dépêche que le nouveau Kaiser allemand, Guillaume Ier, avait adressée de Versailles à son impérial neveu, le 27 février 1871, pour lui annoncer la signature des préliminaires de paix : « Jamais la Prusse n’oubliera ce qu’elle vous doit. Que Dieu vous en bénisse ! »

Certes, on n’ignorait pas qu’en 1875 le Tsar s’était opposé aux intrigues belliqueuses que Bismarck tramait contre la France. Mais, depuis lors, les exploits nihilistes avaient créé autour d’Alexandre II une légende terrible ; on se le figurait plus despotique et plus implacable encore que son père, le farouche autocrate, Nicolas Ier.

Quelques mois plus tôt, un incident grave avait tendu à l’extrême les rapports diplomatiques entre Saint-Pétersbourg et Paris. Le Gouvernement impérial nous avait demandé l’extradition de l’anarchiste Hartmann, accusé d’avoir fait sauter le train de l’Empereur, en gare de Moscou, le 3 décembre 1879. Sous la pression de nos partis avancés, nous avions refusé l’extradition. Alexandre II en avait témoigné son courroux ; la presse russe avait tonné contre la France, et l’ambassadeur de Sa Majesté, le prince Orlow, avait quitté brusquement Paris, en accréditant par écrit un chargé d’affaires sans prendre congé ni